On l'avait rencontrée à la dernière exposition de la galerie Isabelle Gounod, celle d'Anthony Lycett. C'était la femme Lego, drôle, inattendue, performative et fascinante. Elle, c'est la jeune artiste française de 26 ans, Anne-Sophie Cochevelou, qui, après son diplôme de « Performance Design » obtenu à la Saint Martins de Londres, est partie vivre et travailler dans cette capitale foisonnante, excentrique et bigarrée. A l'image de la ville qui fait converger des gens venus de tous horizons vers une certaine unité, l'artiste amasse, entasse et rassemble des objets, purs produits d'une culture consumériste, dans le but de les faire entrer en résonance avec toutes les cultures : kawaii, manga, mexicaine, féministe, chrétienne, juive, apache... Célébrant l'accumulation, récupérant tout ce qui est voué à être jeté une fois utilisé (Barbies, figurines, chutes de tissu, breloques, poupées, plumes de déguisement...), Anne-Sophie Cochevelou fabrique costumes et coiffes à partir de ces riens obsolescents auxquels elle donne une nouvelle vie. Théâtral et proche du rituel, son travail oscille entre ludisme débridé et inquiétante excentricité.
Baroque dans l'amoncellement qui constitue ses pièces, les œuvres d'Anne-Sophie Cochevelou sont pourtant d'une grande minutie. Chaque chose trouve sa place, remplissant un vide dont la vacance ne peut être envisagée. On imagine le labeur manuel, artisanal et délicat, la patience des doigts qui cousent, bribes après bribes, les parcelles de ces ensembles luxuriants. On imagine aussi chaque coiffe vivante, prête à exécuter une imaginaire danse chamanique. De là vient l'étrangeté fascinante. La matière semble endormie, en suspension, comme si elle n'avait pas encore fini sa vie d'objets jetables et usés. Car le titre de l'exposition, ‘Obsolescence déprogrammée’, nous indique clairement que l’impermanence de ces choses inanimées a été inversée, détournée de son cours normal, par une force plus puissante que celle de la mécanique. Une force spirituelle ? C'est ce que ces œuvres, entre vêtements de créateurs et totems de marabouts, nous invitent à croire. Ainsi chaque pièce raconte un événement qui pourrait être aussi bien simple récit, qu'objet cathartique ou fable incantatoire. ‘Les Quatre Ages de la femme’ rassemble ainsi sur un collier majestueux, construit en symétrie, un poupon, deux petites poupées, deux corps de Barbie pailletés et deux squelettes noirs, formant un tout vital, naturel et puissant. On peut autant y voir un conte féministe, statue esthétique, qu'une sorte de poupée vaudou grandeur nature, dont on a extrait la fonction de jouets en plastique.
Entre composition et décomposition, le travail d'Anne-Sophie Cochevelou a l'air d'être en attente de sa mise en action, un réel design de la performance. Allez vous perdre dans la profusion de détails, dans la vivacité des miniatures. Allez à la rencontre de cette artiste, qui, pour la première fois en France présente son travail audacieux et plein de charmes (aussi bien ceux de la sirène que ceux du diable). Dans une présentation simple, la galerie Isabelle Gounod propose au visiteur un doux face-à-face avec l'œuvre qu'il faut apprivoiser, contourner, scruter avant de s'en éloigner pour mieux l'aborder. Un voyage fantastique, fantaisiste et envoûtant.