Critique

Anselm Kiefer

4 sur 5 étoiles
  • Art, Installation
  • Recommandé
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Time Out dit

Une page se tourne pour la proche banlieue. Après le Centre national de la danse et la Dynamo de Banlieues Bleues, la galerie Thaddaeus Ropac brouille encore un peu la frontière entre Paris et la Seine-Saint-Denis en introduisant l'art contemporain dans le paysage d'immeubles, de quatre voies et de friches industrielles de Pantin. Et on vous parle du haut de la chaîne alimentaire de l'art : là où requins du marché et collectionneurs multimillionnaires s'arrachent les œuvres de monstres sacrés comme Georg Baselitz, Gilbert & George ou Antony Gormley. Un écosystème très urbain, généralement concentré dans les beaux quartiers, qui jouit désormais d’un petit musée pour œuvres monumentales, à quelques centaines de mètres du RER.

Déjà propriétaire d'une galerie dans le Marais, Ropac n'a pas choisi n'importe qui pour inaugurer son nouvel espace de 2 000 m2. C'est Anselm Kiefer qui ouvre le bal en exposant une série inédite de toiles et d'installations aux dimensions vertigineuses. ‘Die Ungeborenen’ – littéralement les « non-nés » – révèle le potentiel immense de cette ancienne usine, réaménagée avec le souci de l'épure, de l'élégance et de la luminosité. Certaines toiles ont d'ailleurs été pensées pour les salles où elles sont accrochées. « L’architecture est très importante pour un tableau. J’aime réagir à l’espace, travailler en fonction du lieu », expliquait Kiefer le jour du vernissage.

Peintre de l'entre-deux, du transitoire, Kiefer semble toujours tenir en équilibre entre les horreurs de l'Histoire et la beauté transcendantale de l'acte créatif, entre le besoin de couvrir ses toiles de mots et de symboles et la nécessité de dépeindre l'indicible. Quoi de plus naturel, alors, qu'il trouve dans le sujet des limbes un terrain d'expression fertile : les limbes et leurs innocents, échoués quelque part entre la vie et la mort. Des existences qui ne sont pas encore avérées et qui, peut-être, ne s'avéreront jamais. Les références bibliques et mythologiques fusent dans tous les sens ; les allusions à la Création, à la naissance et à l'avortement flottent dans une bourrasque de traces, de sillons et d’empâtements de peinture.

Pâteuses, les couches de gris, de bleu, de vert ou d'ocre esquissent des océans amniotiques et des paysages dévastés, comme saupoudrés de cendres. Flétris, rouillés, des objets (chaises, aile d’avion, balances métalliques, embryons en silicone…) viennent s’accrocher aux toiles. Comme des excroissances régurgitées par cette peinture qui ne cesse de déborder d’elle-même. Ou, au contraire, comme des épaves absorbées par la force des tableaux, presque organiques – pour un peu, on sentirait l'odeur des fleurs pourries et de la terre carbonisée. L'ensemble est spectaculaire, sans être écrasant : l'architecture, aérée, laisse place à une exposition à échelle humaine et cultive même un sentiment d'intimité, qui pousse à la contemplation.

« Je ne suis ni pessimiste, ni optimiste. Je suis désespéré. Au fond, je suis un romantique, dans le sens philosophique du terme », confie Kiefer. Héritier des peintres allemands du XIXe siècle, l'artiste touche encore une fois, avec cette nouvelle série, à quelque chose d'en même temps obscur, spirituel et universel. A la nature et la vie – celle qui n'aura jamais lieu – se mêle une charge terriblement mélancolique et macabre, galvanisée par la surabondance de la forme. C'est là toute l'alchimie de l'art d'Anselm Kiefer, qui prend le néant par les cornes pour en faire de la matière. Et s'empare de la part sombre, funeste et vaine de l'humanité pour en faire quelque chose de beau et de signifiant.

> Horaires : du mardi au samedi de 11h à 19h

> A lire aussi :

Notre article sur l'expo de Kiefer à la Gagosian Gallery du Bourget, inaugurée le 18 octobre


 
Notre dossier spécial Gagosian vs. Ropac

Infos

Site Web de l'événement
ropac.net
Adresse
Prix
Entrée libre
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