Critique

Antoine d'Agata, 'Anticorps'

5 sur 5 étoiles
  • Art, Photographie
  • Recommandé
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Time Out dit

Ancien élève de Larry Clark et de Nan Goldin, Antoine d'Agata parcourt le monde depuis une vingtaine d’années mais se retrouve toujours au même endroit : où qu’il aille, le photographe marseillais s’engouffre dans les bas-fonds, ignobles et crus. Il y vit avec les prostituées, les ivrognes, les clochards, les drogués, comme un exclu parmi les exclus, pour témoigner de l'aliénation qui pèse sur ces existences de l’ombre. Au Bal, la première salle, sas de dépressurisation dominé par un écran noir d'où retentissent des confessions de femmes, nous prépare à voir surgir ces voix dissonantes, témoins d'une autre histoire de notre société. Puis c'est la descente aux Enfers. Enchevêtrement de dizaines d'images de toutes les tailles, accumulation des clichés du sol au plafond : la grande salle du Bal est submergée de photographies qui recouvrent les murs, étouffant le spectateur. Le regard doit trouver son chemin parmi des centaines d'éclats de souffrance et de mort.

C'est là la grande réussite de cette scénographie de l'amoncellement : non seulement elle permet d'engloutir le visiteur, forcé de regarder dans le blanc des yeux la bestialité cachée sous la civilisation, mais elle génère surtout une nouvelle relation avec les prises de vue d'Antoine d'Agata, qui fonctionnent les unes par rapport aux autres. Prostituées cambodgiennes, fichiers de la police mexicaine, immeubles brestois, voitures calcinées en Palestine, vues d'Auschwitz : entremêlées, ces séries, déjà glaçantes, puisent une force nouvelle dans les résonances qu'elles provoquent. La couleur et le noir et blanc s'entrechoquent, le jour et la nuit se confondent.

Au-delà de la simple exposition photo, la juxtaposition des clichés tisse des connexions entre des éléments pourtant très hétéroclites et finit même par enfanter un récit, sur le même principe qu'une bande dessinée ou qu'un film déroulé image par image. Le corps des prostituées suppliciées renvoie aux dépouilles calcinées oubliées parmi les gravats de la guerre ; la répétition des portraits d'ouvriers à Saint-Etienne fait écho à ceux des réfugiés du camp de Sangatte ; les chambres vides d'un bordel de Phnom Penh rappellent les cellules de prison libyenne. Même les étranges paysages lunaires des Vosges, accolés aux scènes d'horreur des bordels de Maputo ou du Salvador, se teintent d'un malaise indéfinissable, presque expressionniste.

Entre sexe, drogue, enfermement, destruction, le photographe abolit toute distance avec son sujet pour livrer un résumé de tout ce que le monde comporte de barbarie, de cruauté et de cynisme. Le réalisme brut est contrebalancé par son utilisation du flou, tantôt poétique et rassurant, tantôt encore plus inquiétant, lorsque l'on ne parvient plus à déceler si ces corps aux allures fantomatiques sont déformés par le plaisir ou par la souffrance. De ce flux d'images, de ce magma bestial de cris et de douleur, Antoine d'Agata tire le négatif de notre société de consommation. Le portrait radical et politique d'une humanité blessée, bien cachée derrière l'étincelante vitrine de notre joli monde.

> Exposition interdite aux moins de 16 ans.

> Horaires : du mercredi au vendredi de midi à 20h, le samedi de 11h à 20h et le dimanche de 11h à 19h

Infos

Adresse
Prix
De 4 à 5 €
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