Critique

Bertrand Bonello : Résonances

4 sur 5 étoiles
  • Art, Art vidéo
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Time Out dit

Alors que son ‘Saint Laurent’ impressionnant et impressionniste sort en salles, Bertrand Bonello investit le Centre Pompidou pour un réjouissant cycle centré sur le cinéma (évidemment) et la musique. Musicien de formation, Bonello a toujours prêté une attention particulière au traitement du son dans ses films, qu’il s’agisse du jeu sur le timbre de voix de ses acteurs, de la part du silence ou du choix des musiques. Ici, son propos semble creuser plus avant ces relations entre sons et images en les déstructurant, par la multiplication, l’addition ou la soustraction.

La plus grande salle de l’exposition présente ainsi l’installation 'Remix', qui propose l’ensemble des films du cinéaste, projetés simultanément sur autant d’écrans larges. Toutefois, la bande-son, unique, qui accompagne ces projections papillonne d’un film à l’autre, comme pour établir un dialogue entre eux. Libre alors au spectateur de dériver au gré du son en suivant la proposition de Bonello, ou de préférer un collage entre matériaux de sources différentes – un peu comme du Godard grandeur nature. Aléatoire, ludique et sensuel, ce dispositif a le mérite de jouer sur la dissociation des caractéristiques formelles du cinéma, tout en rendant évidentes les obsessions du réalisateur qui parcourent ses films : les espaces clos, le désir charnel, la luxuriance des costumes, des décors et des corps.

Hormis cette installation (qui pourra déjà occuper le visiteur pendant un bon bout de temps), de nombreux courts métrages se trouvent projetés. A commencer par un inédit de 17 minutes, réalisé à l’occasion de cette exposition et inaugurant une nouvelle collection du Centre Pompidou autour du thème : « Où en êtes-vous ? » Dans cette vidéo, le réalisateur fait le point sur son évolution et celle de ses films, sous la forme d’une lettre filmée adressée à sa fille de 11 ans. Entre collage d’extraits, citations, incrustations de textes à l’écran et images du quotidien, Bonello réussit à trouver un ton à la fois très poétique – sensible à l’inconnu, au ratage, à la beauté des ruines – et véritablement sincère.

Moins subjectifs et plus expérimentaux, les autres films présentés auront tendance à scruter avec davantage de précision les divers points de rupture entre sons et images. D’abord à travers le cinéma muet avec le superbe ‘Brumes d’automne’, « poème cinégraphique » de Dimitri Korsanoff daté de 1928, que les spectateurs sont invités à visionner en alternant entre quatre bandes-son différentes : l’originale, signée Paul Devred, et trois nouvelles versions respectivement composées par Bertrand Bonello lui-même (mêlant drones électroniques et musique concrète), Diana Soh (musicienne expérimentale venue de l’IRCAM) ou Richard Hawtin, DJ et producteur de techno canadien, célèbre sous le nom de Plastikman. Là encore, le spectateur est amené à se perdre dans le son, à jouer sur ses perceptions des images suivant leur accompagnement musical. Cette idée, proche de celle de 'Remix', paraît aussi simple que féconde, et sollicite à nouveau le spectateur en lui proposant de jouer sur ses sensations à travers un ensemble de variations actives. D’autant que les quatre bandes-son méritent, chacune, d’être écoutées.

Plus loin, d’autres vidéos préfèrent solliciter le hasard à travers des références aux ‘Stratégies obliques’ de Brian Eno et Peter Schmidt, sur fond de guitare préparée et de sons électroniques. Ou encore renvoyer le spectateur à lui-même à travers la vidéo d’une jeune femme, un casque vissé sur les oreilles, alternant avec des photos dont on devine peu à peu qu’elles pourraient constituer des souvenirs communs à elle et nous : deux oreillers sur un lit en vrac, une route de campagne au coucher du soleil…

Mais surtout, il faudra s’arrêter sur deux installations autour de ce que Bonello appelle ses « films fantômes » : projets de longs métrages travaillés sur des années, mais finalement avortés et dont l’exposition présente les traces, des fragments, quelques rushs ou un morceau de décor. Le premier, ‘La Mort de Laurie Markovitch’, devait ainsi conter l’histoire d’un homme si éperdument amoureux de sa femme qu’il aura recours à la chirurgie esthétique pour s’en faire le sosie. Le second, ‘Madeleine d’entre les morts’, devait pour sa part constituer une variation sur ‘Psychose’ d’Hitchcock, en reprenant l’intrigue selon la perspective inversée du personnage de Kim Novak. Or, pour illustrer ces silencieux lambeaux de films, Bertrand Bonello a réalisé deux pièces radiophoniques en écho à leurs scénarios : l’une avec Louis Garrel et Kate Moran, l’autre avec Mathieu Amalric et Clotilde Hesme. A noter que le Centre Pompidou a d’ailleurs eu la belle idée de publier ces deux scénarios inédits pour accompagner l’exposition (‘Films fantômes’, édition du Centre Pompidou / Les Prairies ordinaires).

Notons enfin, en marge de cette exposition, un ensemble de projections et rencontres, dont un concert le 19 septembre, où Bertrand Bonello accompagnera, en tant que musicien, la chanteuse et égérie de Fassbinder, Ingrid Caven. Plus traditionnellement, une rétrospective de ses films et une masterclass avec le réalisateur seront également au rendez-vous, ainsi qu’un projet, prometteur et barré, qui pourrait rappeler le film aveugle de Guy Debord, ‘Hurlement en faveur de Sade’ : une programmation de 19 célèbres longs métrages, dont les images ont été retranchées et où ne subsistent que les bandes-son. Des monuments comme ‘La Maman et la Putain’, ‘The Shining’ ou ‘Le Roman d’un tricheur’, à apprécier exclusivement avec les oreilles. Soit une idée à la fois simple et suggestive, radicale, joueuse et sensuelle. A l’image de cette exposition, en somme.

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13 €
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