Dieu est mort et les grands récits ont été sauvagement massacrés par la pensée postmoderne. Quant à la peinture classique, elle ne pète pas non plus la forme : avec son lot de sujets religieux, d’épopées mystiques et de compositions éloquentes, elle agonise depuis plus d’un siècle sous le poids de la photographie et du cinéma. Alors, quid de cet art pictural qui s’est évertué, pendant des centaines d’années, à transcender le quotidien du commun des mortels et à soulever les doutes existentiels qui le dévorent et le dépassent ? Qui reste-t-il pour nous poser les « grandes questions » du pourquoi et du comment, nous parler de la mort et de la vie, de ce que nous sommes et de ce qui nous attend ?
Eh bien, il y a Bill Viola. Du moins, à sa manière un peu ronflante de gourou zénomystique made in USA. Maître tout-puissant de l’art vidéo, l’artiste new-yorkais se pose depuis les années 1970 en passeur de messages métaphysiques qu’il met minutieusement en scène dans des tableaux en mouvement. Lents, pénétrants, emphatiques, ses films interrogent la naissance, le passage du temps, la finitude de la vie. Avec leur esthétique grave et léchée, ils s’inscrivent dans la lignée des maîtres de la Renaissance, du Caravage ou de Goya, dont ils s’approprient l’iconographie solennelle et spirituelle pour la cuisiner à une sauce laïco-allégorique.
Comme s’il peignait avec la vidéo, Viola anime ses portraits d’imperceptibles mouvements, filmant tantôt les grimaces qui se sculptent au ralenti sur les visages de ses acteurs (‘The Quintet of the Astonished’), tantôt la métamorphose de corps qui se diluent dans des mers de flammes (‘Fire Woman’), se fondent dans un magma de désir charnel (‘Surrender’) ou s’envolent vers l’au-delà, comme aspirés par un appel d’air et d’eau (‘Tristan’s Ascension’). Sur les grands écrans qui transmettent sa bonne parole numérique, les vieilles dames attendent le dernier voyage (‘Woman Searching for Eternity’, ‘Going Forth by Day’) pendant que les rêveurs somnolent en apnée dans des limbes subaquatiques (‘The Dreamers’). Et l’autobiographie n’est jamais bien loin : souvent, l’artiste laisse ses œuvres couler vers sa propre histoire, des traumatismes d’enfance (Viola faillit se noyer à l’âge de 6 ans) au décès de sa mère, dont il avait filmé les derniers souffles en 1992 dans son célèbre ‘Triptyque de Nantes’.
Alors oui. Au Grand Palais, on ne peut que constater la force et la beauté de cette œuvre qui nous met face au vertige de l’existence. Nous élève vers des ailleurs contemplatifs. Sculpte le temps. Le fige ou le liquéfie à l’envi. L’Américain invite son public (un flot incessant de pèlerins qui submerge l'exposition, rendant l’expérience laborieuse) à s’arrêter dans un monde qui va trop vite. Les décharges émotives fusent. Les films courts (en général une dizaine de minutes) usent d’une surenchère d’effets grandiloquents et spectaculaires, pour mieux nous époustoufler. Mais parfois trop. Car là où, en 1979, Viola peignait des tableaux abstraits en filmant les vagues de chaleur du désert tunisien, traversé par des silhouettes de marcheurs, de voitures et de motos qui se muaient, subtilement, comme des mirages fantomatiques dans le paysage (on pense au sublime et hypnotique ‘Chott El Djerid (A Portrait in Light and Heat)’), ses œuvres plus récentes désappointent. Frôlent le sensationnalisme. Bill Viola en fait des caisses. Se parodie lui-même en tournant ce qui finit par ressembler à des clips pour une philosophie new age, à l’humanisme simpliste et un peu fourre-tout. En inconditionnels de ses vidéos antérieures, on aurait aimé pouvoir dire le contraire : mais vraiment, trop de Bill tue le Viola dans cette exposition en forme de Mecque de la vidéo. Aussi bondée qu’un jour de hajj.
> Horaires : le lundi et le dimanche de 10h à 20h et de 10h à 22h du mercredi au samedi.
(Attention, les horaires sont modifiés pendant les vacances scolaires. Plus de détails ici.)
> Pour aller plus loin, 'Chott El Djerid (A Portrait in Light and Heat)' en images :