Et dire que l’on pensait bien connaître Paris. Il aura fallu qu’un Hongrois s’entiche de notre capitale pour enfin la redécouvrir sous un nouvel angle. Loin d’une vision idéalisée des années 1930 dépeinte par certains de ses pairs, Brassaï, lui, s’attarde à révéler la beauté de la ville dans ses petits détails plutôt que dans des regards panoramiques. L’ombre de la grille du jardin du Luxembourg photographiée sur le sol, les rues pavées, l’écorce d’un platane qui brille comme une peau de serpent, sont autant de sujets a priori insignifiants qui se révèlent ici d’une immense poésie. Bien sûr, il y a comme chez Doisneau des amoureux qui se bécotent au bistrot, mais ce qu’il faut retenir de Brassaï c’est surtout cette envie de faire jaillir la beauté là où on l’attend le moins – « dans ces choses banales qu’on ne voit plus », comme il disait. Une pensée omniprésente que l’on retrouve dans son ‘Paris de jour’, les photos des graffitis, et ses portraits troublants de prostituées et d’ivrognes endormis.
C’est dans ses tribulations nocturnes, réunies dans l’exposition sous le nom de ‘Paris éternel’, que s’exprime tout son génie. Une retranscription parfaite des ambiances de nuit grâce à un travail précis sur la balance des blancs. Un jeu sur les luminosités qui apporte à ces situations des tonalités mystérieuses, comme le cliché réalisé au Cirque Medrano où l’équilibriste se transforme sous les projecteurs en une sorte de demi-dieu. Artiste touche à tout, sculpteur, photographe, cinéaste, son travail s’attache toujours à transcender le réel. Une pensée qui le rapproche des surréalistes et de Picasso, son grand ami avec lequel il partage une même vision symbolique et nostalgique du monde.