Brut(e). Comme le contraste entre les dorures étincelantes de la Monnaie de Paris et les œuvres aux nuances d’airain de l’artiste grec, qui se regarde à contre-jour. Brut(e) aussi comme les matériaux industriels qui composent l’ensemble de ses travaux, tels le métal, le fer, le charbon… Des matières premières, primitives même, qui font écho à la fonderie de la Monnaie de Paris, dernière manufacture de la capitale. Et que Jannis Kounellis, en figure de proue de l’Arte Povera, modèle à peine. Pour cause : son art réside surtout dans une mise en scène théâtrale, presque tragique, d’objets sans véritable beauté. Afin d’amener le visiteur à considérer sa condition d’Homme moderne, marquée par la nudité originelle et le vide existentiel.
Sur le carrelage à damiers, au milieu de la salle, reposent ainsi un tapis de clous surmonté d’un brasier, d’un sommier rouillé à moitié calciné et d’une cage dans laquelle somnolent de gros rats grisâtres. Une scène à la fois austère et déroutante que surveillent de toute leur hauteur six chevalets sombres, Soulages de plomb pesant dans le paysage et obstruant les fenêtres. Plus loin, c’est un poisson rouge côtoyant avec désinvolture un couteau de boucher dans un bol en faïence qui interpelle. D’autant que ses écailles écarlates projettent sur la lame d’inquiétants reflets sanglants. Sans oublier cette menaçante potence de laquelle pend un lustre fait de longs poignards, pendu d’acier rappelant l’être à sa gravité terrestre.
Car, dans cette installation abrupte et silencieuse, l’Homme hante le moindre corps inanimé. Ces cylindres de bronze à l’horizontale et recouverts de lourdes toiles en laine semblent symboliser la fin de la vie en reproduisant une morgue. Ce mur de coutelas, lui, paraît faire référence aux nombreuses responsabilités humaines. Epées de Damoclès au-dessus de nos têtes ? Et ces manteaux noirs noués ensemble, sont-ils l’allégorie de la solidarité ? Impossible à dire. Sans explications et souvent sans titres, les œuvres de Jannis Kounellis sont sujettes à toutes les interprétations. Il ne faut d’ailleurs pas compter sur les citations sibyllines de l’artiste, qui nous accompagnent au fil des salles, pour saisir une quelconque piste de réflexion. L’exposition se conçoit en effet comme une fresque où chacun vit une expérience pas forcément agréable : celle du malaise. Un sentiment viscéral. Violent. Brut.
Finalement, le terme était on ne peut mieux choisi…