Critique

Edward Hopper

4 sur 5 étoiles
  • Art, Peinture
  • Recommandé
Publicité

Time Out dit

La folie Hopper continue : depuis le mois d'octobre, les files d'attente n'en finissent plus de gonfler, les réservations en ligne sont saturées et on ne compte plus les Parisiens qui sont rentrés bredouille après avoir patienté pendant des heures aux portes du Grand Palais. Forte de ce succès ahurissant (quelque 580 000 visiteurs en trois mois), l'exposition est prolongée jusqu'au 3 février et sera ouverte de 9h à 23h du 29 au 31 janvier, puis 24h sur 24 du 1er au 3 février (fermeture à 23h le dimanche 3 février). L'occasion de voir ou revoir Hopper - de préférence en pleine nuit si vous voulez avoir une chance d'y accéder.

Et si on en parlait, de cette expo ? Notre critique :

Hopper, enfin. La consécration. L'hommage tant attendu qui, vu de loin, ressemblait à une invitation à pousser la porte du Grand Palais comme on entre dans un diner de bord d'autoroute, pour plonger la tête la première dans l'Amérique profonde du siècle dernier. Pourtant, il va falloir prendre son mal en patience, remballer brièvement ses envies d'évasion, de grands espaces et de nuits new-yorkaises imbibées de Bourbon on the rocks et de néons : car avant de nous catapulter outre-Atlantique, l'exposition nous fait mijoter. A Paris. Non par nombrilisme franco-français, mais parce que pour déchiffrer l'art américain du XXe siècle, c'est souvent par ici, "Paris, France", berceau des avant-gardes, qu'il faut commencer.

Jeune élève de Robert Henri, dans l'atelier duquel il découvre l'anti-académisme de Manet, Edward Hopper s'offre plusieurs séjours parisiens entre 1906 et 1910 pour s'imprégner des révolutions impressionnistes et symbolistes. En remontant à la genèse du mythe Hopper, la rétrospective éclaire brillamment le cheminement qui conduit le peintre vers ses aplats de couleurs acidulés, ses perspectives froides, ses lumières obliques. Elle montre à quel point les terrasses de café de Degas, les théâtres de Sickert ou le Paris moderne photographié par Atget coulent dans ses pots de peinture. A quel point la tendance d'un Manet ou d'un Pissarro à saisir les petites gens, la vie quotidienne, les bars de nuit ou les ateliers miteux hantent les allers et venues de son pinceau. Habitée par les œuvres des maîtres qui l'ont influencé, cette longue introduction – sur laquelle plane le fantôme du peintre fauché, condamné à dessiner des couvertures de magazines – nous donne les clés qui vont permettre de percer le mystère de Hopper et de ses peintures iconiques.

Puis c'est le grand saut. Au rez-de-chaussée, gravures méconnues et tableaux légendaires nous téléportent de l'autre côté de l'Atlantique. Place à Hopper dans toute sa splendeur, inclassable, prolifique. Les gares désertes, les trains, les théâtres, les bars paumés : tous les ingrédients des avant-gardes européennes ont été jetés sur la toile puis cuisinés à la sauce américaine. Transfigurés, redimensionnés, puis secoués par les désillusions du mouvement de l'Ashcan School ("l'école poubelle"), auquel l'artiste s'associe de loin. Il n'y a plus qu'à se laisser porter par ces demeures oppressantes qui se dessinent sur les collines du Maine, préfigurant le cinéma de Hitchcock, ou ces paysages éclaboussés par le rouge pétant d'une station-service. Parmi les ombres coupées au couteau et les couleurs sourdes, s'esquissent des personnages impénétrables, au visage fuyant : une nonne et sa poussette semblent s'échapper du cadre, ballottées par la frénésie urbaine ; des travailleurs de nuit se tiennent calfeutrés dans un bureau, leurs silhouettes tranchées par l'éclat d'une ampoule électrique.

Autant de symptômes d'une modernité elliptique, éruptive, que Hopper saisit avec une froideur clinique, rehaussée par des tons vibrants et des angles outrageusement dynamiques. Nous ne sommes ni dans l'anecdote, ni dans la critique sociale, ni dans la description : nous sommes ailleurs, dans l'énigme, le flash. Dans les Etats-Unis modernes, qui s'écrivent sous forme d'instantanés, d'histoires tronquées. Avec un pied dans une Europe fondatrice et l'autre dans une Amérique flambant neuve mais déjà désabusée, le Grand Palais s'offre une immersion envoûtante dans cet art aux faux airs de film noir.

> Horaires : jusqu'au 28 janvier, tous les jours sauf le mardi de 10h à 22h (le dimanche et le lundi jusqu'à 20h). Ensuite : du 29 au 31 janvier de 9h à 23h, puis 24h sur 24 du 1er au 3 février

Infos

Site Web de l'événement
www.grandpalais.fr
Adresse
Prix
De 8 à 12 €
Publicité
Vous aimerez aussi
Vous aimerez aussi