Ni leçon de design, ni biographie croustillante de l’énigmatique Eileen Gray, cette exposition est à l’image de l’artiste qu’elle honore : discrète, pudique et débordante de créations personnelles. Ici, c’est ni plus ni moins le talent d’une femme, libre et unique, qu’on met à l’honneur, presque indépendamment de toute contextualisation artistique, historique ou intime : et cétait peut-être la façon la plus naturelle d’aborder l’œuvre de cette aristo irlandaise, inclassable et secrète, qui s’impose, depuis sa « redécouverte » en 1972 (suite à une vente de meubles ayant appartenus à Jacques Doucet, l’un de ses plus fidèles collectionneurs), comme l’un des monstres sacrés de l’architecture moderne.
Miss Gray fait partie de ces femmes d’avant-garde qui portèrent la culotte et imposèrent leur élan créatif dans un monde d’hommes. « Self-made woman » et nucléon libre du design, elle passe une bonne partie de sa longue vie (1878-1976) en France : après des études à la Slade School de Londres, elle s’installe à Paris dès 1902, où elle apprend (dans l’atelier de Seizo Sugawara) à conjuguer le mobilier en laque au futur, en insinuant dans ses paravents, ses tables et ses pieds de lampe des lignes obliques qui préfigurent le modernisme. Anticonformiste et touche-à-tout, elle ne tarde pas à ouvrir sa propre galerie (au nom de Jean Désert, société phallocrate des années 1920 oblige), à inventer des tapis aux airs de toiles abstraites et à s’aventurer peu à peu vers l'ébénisterie et le métal chromé, multipliant les audaces tout en cultivant un style de plus en plus épuré. A Beaubourg, esquisses et meubles ponctuent les grandes étapes de sa carrière dans une scénographie claire, tout en petits recoins enchevêtrés, qui nous conduisent rapidement vers ses chefs-d’œuvre d’architecture : la Villa E 1027 à Roquebrune (créée à quatre mains avec le Roumain Jean Badovici) et sa maison personnelle, Tempe a Pailla, dans les hauts de Menton.
Si elle s’épanouit pleinement dans la simplicité géométrique de l’école du Corbusier (qu’elle côtoie, et dont elle se lie d’amitié jusqu’à ce qu’il dénature la Villa E 1027 en y peignant, sans son accord, des fresques ultra-colorées), Eileen Gray ne cesse tout au long de sa carrière de jongler entre les lignes tranchantes de l’architecture de son temps et une douceur plus humaine et plus traditionnelle. A la rigidité des carcans, elle préfère l’éternelle promesse de la métamorphose. Chaises pliables, paravents mobiles, « siège-escabeau-porte-serviettes », tiroirs qui transforment les contours d’une commode en s’ouvrant en éventail : chaque espace est modulable, chaque meuble est unique (elle ne crée aucune pièce industrielle, que des prototypes). Au Centre Pompidou, diaporamas, maquettes, et photos d’intérieurs reproduites sous forme de papiers peints (l’appartement de la rue Bonaparte, le salon de la Villa E 1027) permettent de replacer les pièces dans leur contexte : le résultat est dynamique, fluide et vivant. Et si l’on en apprend finalement peu sur le personnage de Gray et la place qu’occupe son art dans l’histoire du design, on en sort au moins avec l’impression d’avoir touché à l'ahurissante originalité d’une femme encore trop méconnue. Grande inventrice du foyer moderne.
> Horaires : tous les jours sauf le mardi de 11h à 21h
Time Out dit
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- De 9 à 13 €
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