Il a passé des années à vivre d'amour, de vie rurale et de photographie. Des années à observer le regard lumineux et la nudité sans ambages de sa femme, Edith, bientôt entourée de leurs deux enfants. Puis, un jour pendant les années 1980, il a sauté dans un hélicoptère pour prendre de la hauteur et voir le monde autrement. Une rupture radicale, à première vue. A la Fondation Henri Cartier-Bresson, on jurerait avoir croisé deux hommes, tant la vie photographique de l'Américain Emmet Gowin s'est partagée entre son cocon familial et les grands espaces. Entre une sorte d'album de famille intime et délicat, traversé par une admiration sans bornes pour son épouse, et des paysages au noir et blanc tranchant, dont une série de vues aériennes absolument inouïes.
Et pourtant, en regardant de plus près, on s'aperçoit que les deux Emmet Gowin avancent main dans la main. Tous deux ont été propulsés vers la chambre noire par une même sensibilité plastique, par une même fascination pour les manifestations imparfaites de la nature, qu'ils trouvent autant auprès des rides qui se dessinent sur les joues d'Edith que sur des traces de pneus gravées à la surface d'une plaine enneigée. Tous deux ont cherché à puiser dans la limpidité du réel quelques fulgurances fantastiques. Ici, Edith enveloppée dans son éternelle chemise de nuit blanche, flottant parmi les arbres de son jardin comme une créature féerique. Là, l'Ouest américain défiguré par le passage de l'homme, les essais nucléaires et les systèmes d'irrigation, territoire informe réduit à une sorte de toile abstraite saupoudrée de traces circulaires. Ce sont peut-être ces paysages invraisemblables qui marquent le plus dans cette exposition : à cent mille lieues d'une terre platement vue du ciel par un Yann Arthus-Bertrand, on parcourt un monde lunaire, éraflé, qui ressemble tantôt à un amas de soucoupes volantes, tantôt à des études au microscope, des crêpes bretonnes ou des graffitis de Brassaï. Médusant.
« Même lorsqu'un paysage est profondément défiguré ou brutalisé, il brûle encore d'une vive animation intérieure », confie l'artiste. Il en va de même pour ses photographies. Qu'il nous laisse pénétrer comme par effraction dans le secret de sa famille ou qu'il nous catapulte au-dessus d'immensités froides et vertigineuses, corrodées par la modernité, Emmet Gowin parvient toujours à faire vibrer ses photographies. Comme autant de souvenirs d'un temps sans âge, issus d'un lieu incertain.
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