Ce n’est pas la première fois que le Jeu de Paume pose le pied chez l’Oncle Sam pour courir après la modernité galopante des années 1950, 60 et 70. Diane Arbus, Richard Avedon, Robert Adams, Berenice Abbott, Robert Frank, Lisette Model… On en a croisé, des monstres sacrés de la photographie made in USA, depuis la création du musée il y a dix ans. Et pourtant, on ne s’en lasse pas. Comme les cheveux de Katy Perry, chaque apparition est une nouvelle surprise : dans l’approche, les couleurs, le cadrage, les angles de vue. Cette fois, les Etats-Unis du Jeu de Paume respirent le joyeux bordel du vécu ; on sent presque l'odeur des mégots, encore fumants sur le bitume, tant l’objectif de Garry Winogrand nous emmène au plus près des Américains.
Affamé de mouvement et dopé à l’ironie, le street photographer a passé une trentaine d'années à dévorer tout cru le spectacle de la vie américaine – évitant comme la peste les additifs optimistes et proprets de la photo humaniste, alors dominante. « Qui sommes-nous ? » C’est la question que pose ce tourbillon de clichés, inédits pour certains – le photographe, décédé subitement d’un cancer en 1984, ayant laissé derrière lui des centaines de négatifs à trier et à développer.
Les rues de Manhattan, le zoo de New York, les plages de Los Angeles, les campagnes de Nixon, les partisans de Kennedy, les Blancs, les Noirs, les blondes, les beaux, les moches, les costards-cravates, les bleus de travail... Chez cet « étudiant » autoproclamé de l’Amérique, il n’est pas seulement question de relater l’histoire de trois décennies folles à lier. Il s’agit surtout de saisir l’esprit et la nature profonde de ces Etats-Unis en pleine métamorphose, tiraillés entre leur exubérance et une désillusion naissante. Capturant son époque en flagrant délit d’authenticité, Garry Winogrand semble toujours débarquer au moment où l’Amérique redevient elle-même – ce moment où elle se relâche après la photo officielle, pour se curer le nez, se ronger les ongles ou regarder ses compatriotes du coin de l’œil, avec toute l’ambigüité de la réalité.
Dans ce théâtre à ciel ouvert où « la photo doit être encore plus dramatique que ce qu’elle photographie » (dixit Winogrand dans une rare interview diffusée au beau milieu de l’exposition), l’homme apparaît à la fois comme une créature féroce et un être d’une grâce infinie - à l’image, finalement, de la tension qui anime ces photographies, déchirées entre l’enthousiasme de Winogrand et sa consternation profonde face au monde qui s’agite sous ses yeux. Ici, on entend le pouls haletant d’une nation parfois débordante de vie, parfois désespérante de vide intérieur. Et toujours à deux doigts de la tachycardie.
> Horaires : le mardi de 11h à 21h et du mercredi au dimanche de 11h à 19h.
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