« KILLER », « RACE », « GANG », « HATE »… Outre-Manche, les temps sont durs pour Big Brother. Dans leur dernière série de collages, les ‘London Pictures’, Gilbert & George donnent la parole à la presse britannique et prouvent une fois encore que, plus de quarante ans après leurs débuts à la Saint Martins School of Art, leur art n’a pas perdu une once de sa pertinence. Ni son don de frapper là où ça fait mal. Toujours ancré dans l’actualité sociale, toujours épicé de généreuses doses de provocation sauce post-pop, le travail du tandem britannique a rarement jeté un regard aussi cinglant sur son époque. Pendant près de six ans, les légendaires Dupond et Dupont de l’art contemporain, tout de tweed vêtus, ont fait la cueillette de gros titres de journaux, écumant les kiosques de la capitale anglaise pour créer, au final, un ensemble de 292 collages à partir de 3 712 posters. Une dizaine de ces panneaux sont à découvrir à la galerie Thaddaeus Ropac : immenses, ils offrent un aperçu de la monstrueuse muraille des lamentations qu’ont composée les artistes. Critique absurde et décapante de la violence surmédiatisée.
Paroles crues, brutalité banalisée : dans cette brève exposition, Gilbert & George jouent les archivistes des maux de notre siècle, déversant des nuées de slogans QUI VOUS HURLENT DESSUS EN LETTRES MAJUSCULES. Les courtes phrases réunies dans chaque panneau, d’une atrocité folle, se déclinent autour d’un mot « clé ». Comme pour ériger un monument à la part la plus obscure de nos existences urbaines (« Assassin » : « Peine de 8 ans pour l’épouse assassine », « La grippe assassine atteint l’Europe », « Assassin : "j’ai mangé ma petite amie" »…). En toile de fond, les artistes, affublés de leurs éternels costards-cravates et lunettes rondes, font des apparitions fantomatiques. Eux qui voient habituellement le monde en couleurs primaires s’effacent ici derrière le rouge, le noir et le blanc du scoop déshumanisé.
Nous sommes en plein totalitarisme médiatique, cauchemar aux hymnes sourds et aux refrains morbides, symptomatique de la boulimie du fait divers dont souffrent les Londoniens. Comme les citadins du reste du monde, d’ailleurs. Car c’est le malaise social dans ce qu’il a de plus universel qui s’exprime ici en toutes lettres. Gilbert & George dramatisent ces mots vidés de leur sens en les élevant au statut d’œuvres d’art. Cachés derrière ces grosses typographies comme des témoins gênants, c’est nous qu’ils observent d’un œil froid et documentaire. Comme s’ils étaient chargés de préserver la mémoire d’une communauté condamnée à épandre ses blessures dans les kiosques à journaux. Avant de les oublier dès le lendemain, à la parution du prochain numéro.