Il est rare que la galerie Arts Factory expose un seul et même artiste sur l’ensemble de ses quatre étages. Mais pour Henning Wagenbreth, illustrateur (des romans d’Edgar Hilsenrath notamment) et affichiste allemand de renom, elle a su faire une exception.
Poursuivant son tour d’Europe de la scène graphique – après la Belge Dominique Goblet, l’Allemand Kai Pfeiffer et le couple suisse Anna Sommer/Noyau –, la galerie Arts Factory recouvre ainsi le moindre cm2 de ses murs avec les saynètes hautes en couleur de l’artiste germain. Des petites BD à la fois grotesques et perturbantes, aussi drôles que tragiques, qui plongent le curieux dans un monde gentiment glauque et semi-industriel. Au cœur de ces dystopies angoissantes, assemblées façon Lego et peuplées d’êtres angulaires rappelant les masques incas et les calaveras mexicains, on croise en effet des scènes de meurtre, de torture, d’accouchement semble-t-il douloureux et de décontamination de sites radioactifs. Le tout mis en scène avec une certaine candeur dans le trait. Un contraste puissant qui suscite chez le spectateur un pertinent malaise.
Car les œuvres de Henning Wagenbreth, bien que stylisées et joliment oniriques, ont un aspect futuriste alarmant. En les regardant, on décèle une part de vérité inquiétante sur l’état de notre monde actuel. Comme un miroir grossissant qui nous montrerait l’obèse que l’on deviendrait si l’on consommait trop.
Artiste aux mille talents – puisque sont également exposés à la galerie Arts Factory ses sculptures, ses papiers découpés, ses encres de Chine et autres sérigraphies –, celui qui illustra un portrait de Stephen King pour le New York Times prouve également qu’il manie l’humour et l’ironie à la perfection. L’affiche ‘Parisianité’, détournant les stéréotypes rencontrés dans la capitale française, en est la preuve par format A3. « Crédibilité » se trouve alors associé avec cynisme au dessin d’un homme politique et « pugnacité » à celui des rats d’égout. Quant à l’œil observateur de ce pionnier de la bande-dessinée numérique, fort de vingt-cinq ans de carrière, il révèle toute sa finesse du détail avec ‘Taipei, Scooter City’.
Ceux qui aiment être esthétiquement dépaysés se feront donc plaisir en embarquant à bord du « train de nuit » de Henning Wagenbreth, pour un voyage à cheval entre art brut et retrogaming dépixellisé.