Souvent décrié, moqué de par sa complexité et parfois peu apprécié, l’art contemporain ne peut cependant se résumer à essuyer ires et quolibets à longueur d’expositions et à lourdeur de remarques déplacées. Comme en musique, pour chaque genre d’art existe une multitude de sous-genres plus ou moins connus et à même de titiller ou non la sensibilité de chacun. Le contemporain ne fait pas exception à la règle et cela, Anne & Julien l’ont bien compris en fondant la revue Hey. Active depuis 5 ans, elle s’efforce d’explorer et de diffuser des expressions artistiques actuelles très underground, où voguent tout aussi aisément surréalisme pop et art brut. Loin de se limiter au papier, ils organisent également tous les 2 ans une exposition rassemblant bon nombre d’artistes français et internationaux issus de cette contre-culture.
Pour cette troisième édition, la Halle Saint-Pierre se révèle l’antichambre parfaite pour accueillir toutes ces œuvres inquiétantes, où s’entassent crânes en tous genres et tableaux représentant des créatures indéterminées sexuellement perdant leurs intestins. La pièce du rez-de-chaussée, sombre, nous donne l’impression de pénétrer dans une crypte dont nous ne pourrons jamais sortir, dans un lieu où nos cauchemars se retrouvent exacerbés par ces terrifiantes pierres zippés d’un sourire inquiétant, ces femmes aux multiples tétons et ces petites filles martyrisant des squelettes terrifiants. Bien que souvent différentes de par leur nature (peintures à l’huile, sculptures, bandes dessinées), les œuvres demeurent homogènes et parviennent à créer une atmosphère pesante, comme dans un film de Tim Burton rendu gore par les skeuds de Quentin Tarantino.
Les artistes viennent de partout : France, Japon, Argentine mais aussi et surtout des Etats-Unis, véritable berceau de la contre-culture, comme la figure du surréalisme pop Marc Ryden dont les petites elfes aux yeux globuleux effraient autant que les bêtes difformes de l’argentin Gabriel Grun. A leur façon, tous ces créateurs détournent les codes de l’art en n’épargnant aucune époque, des peintures religieuses du Moyen-Age à l’impressionnisme en passant par l’école flamande. Tout se retrouve ici torturé, malmené jusqu’à une forme d’écœurement devant cette admiration pour le glauque et cette fascination pour la mort. Cette perversité réveille pourtant notre propre voyeurisme, et l’on se retrouve délicieusement envoûté par ce déroutement subi consciencieusement.
A travers cette exposition et cet impressionnant rassemblement d’œuvres marginales, les fondateurs de la revue Hey accomplissent parfaitement leur but : prendre à contrepied l’art contemporain en se faisant les parfaits diffuseurs d’une résistance aux normes, à la catégorisation et en nous remettant en question face à nos propres goûts pour le morbide et le surréalisme. Chapeau bas.
Ouvert tous les jours de 11h à 18h, le samedi jusqu'à 19h et le dimanche de 12h à 18h.