Know Your Enemy, comme disait l’autre. Et celui-ci n’a certainement pas la rage contre la machine. Il se sape comme un agent immobilier. Se coiffe comme un banquier. Marchande des produits de consommation de masse customisés ou reproduits à grande échelle. Parle comme un pubard. Se vend comme un trader. Pense comme un PDG de multinationale. Normal : Jeff Koons est un peu tout ça à la fois. A la tête d’une entreprise de plus de cent employés, l’artiste contemporain le plus cher au monde brasse des millions de dollars en monnayant ses œuvres comme des « biens » purement destinés à la vente, et en se nourrissant des spéculations de ses collectionneurs. Si son monde volontairement vulgaire, clinquant et vide (aucune dialectique, aucune réflexion) représente tout ce que vous détestez dans l’art contemporain, alors c’est bien le moment de mieux connaître votre ennemi. Toutous qui scintillent, chatons mignons, bateaux gonflables en bronze, scènes de cul avec son ex-femme-star-du-X Cicciolina, statues de personnages de BD, kitsch, bling, toc… Tout est là, dans cette rétrospective du Centre Pompidou qui brille, éclate et détone de couleurs, déballant un message aussi joyeux qu’un commerçant qui vous sourirait avec un peu trop d’insistance.
Celui qui a travaillé en tant que courtier à Wall Street (1979) et diffusé des publicités dans les grands magazines d’art américains pour promouvoir son image d’artiste (1988) ne s’en cache pas : Jeff Koons est un homme d’affaires pur et dur. Chose qui a le don de fasciner les uns, et d’agacer les autres au plus haut point. Mais l’ampleur de son influence sur le marché de l’art mérite d’être, sinon acceptée, au moins comprise - et cette « rétrospective » beaubourgeoise, une première en Europe, nous donne quelques clés pour décoder cette monstrueuse machine à fric artistique.
Un siècle après la roue de bicyclette de Marcel Duchamp (qui a lui aussi droit à une exposition au Centre Pompidou en ce moment), cette incursion dans l’univers matérialiste de Jeff Koons tombe à pic. Ici, on comprend mieux comment l’Américain repense le readymade et le Pop Art, pour les conjuguer à la sauce du capitalisme décomplexé (en reproduisant notamment des affiches publicitaires préexistantes), tout en y ajoutant parfois des éléments inspirés de l’art minimaliste (on pense à ces aspirateurs associés à des néons) ou classique (notamment ces ‘Gazing Balls’ posés sur des statues antiques, comme si elles étaient de vulgaires piédestaux). On voit comment il reprend, assemble ou reproduit sans cesse des objets qui plaisent au plus grand nombre, pour en faire des œuvres d’art à « succès » économique – souvent avec un perfectionnisme confondant. Comment son discours – ou absence de discours – s’avère désarmant, tant il assume l’évidence de sa démarche. Cela fait-il de lui un imposteur, un opportuniste, un éclaireur cynique ? Difficile de trancher. Quand Jeff Koons s’empare des symboles du rêve américain, ce n’est pas pour les critiquer ou les rendre plus beaux ou plus porteurs de sens. C’est pour nous les jeter à la figure et empocher des billets verts. Et c'est peut-être le fait que ce soit aussi simple que cela, qui fait aussi mal.
> Horaires : tous les jours sauf le mardi de 11h à 21h ; nocturnes le jeudi, vendredi et samedi jusqu'à 23h.