‘Se souvenir de la lumière’, en garder la trace, quelque part, parce que c'est ce qui nous fait tenir. Cette superbe exposition estivale - qui partage l'affiche avec Josef Sudek au Jeu de Paume - présente le travail des artistes libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige qui interrogent la mémoire, le présent, la trace et l'empreinte du passé. Celui d’un pays à l'histoire tumultueuse où le discours officiel fantasme ses racines en muselant les récits individuels d'hommes marqués dans leur chair par la politique, la censure et le conflit armé. Documentaristes, vidéastes et plasticiens, les deux artistes modulent ainsi leurs médiums pour rendre compte d'un certain état du monde et de leur terre natale. Protéiforme, leur art transcende la destruction, la perte et le dessaisissement de la patrie par l'individu en proposant une œuvre physique, un objet témoin. Chaque visiteur est alors invité à en prendre possession pour que le rapport de force s'inverse et que l'individu reprenne le contrôle de ce qui lui a été enlevé : sa ville et sa vie.
Construite à partir d'un important travail d'archive, l'exposition présente des œuvres produites de la fin des années 1990 à aujourd'hui, dont deux spécialement conçues pour le musée du Jeu de Paume. Poignantes et percutantes, elles coupent le souffle tant leur simplicité rend compte d'une terrible vérité et d'une histoire (presque) monstrueuse. En témoigne le film ‘Khiam’, présenté sur deux écrans parallèles, dressant le portrait de six prisonniers du camp de Khiam. A gauche, ils racontent avec des mots ordinaires mais choisis le quotidien extrêmement dur de leur dizaine d'années d'incarcération. A droite, ils livrent leur réflexion enregistrée quelques années après leur premier entretien à propos de la possible reconstruction du camp après sa destruction par des raids israéliens. Le dispositif, épuré et sans aucune mise en scène, nous prend à la gorge tant la sincérité de la parole et le souvenir encore brûlant s'y imposent. Il en va de même pour ce mur de cartes postales calcinées représentant des vues du Liban des années 1960, idéalisé mais aujourd’hui disparu sous les bombes. En donnant une forme tangible à la destruction et en invitant le visiteur à choisir sa carte postale comme s'il était en vacances dans les décombres, le duo libanais décale la réception de ces images et nous place à le fois devant la perte de ce Liban et la question de sa réédification.
Politique par nature, leur travail conserve toutefois un souci esthétique et plastique qui ne prend jamais le dessus sur le propos. Les œuvres nous parlent. Dès qu'on entre dans la pièce, sans même avoir lu le cartel, on sent ce qui s'y passe, on perçoit l'intensité de ce que l'on veut nous montrer, nous raconter, nous faire voir. Les corps qui coulent dans les fonds marins de la vidéo ‘Se souvenir de la lumière’, les voix corrompues qui s’enchevêtrent dans l’installation ‘La Rumeur du monde’, les pellicules non développées et dont les photos sont pourtant toutes parfaitement décrites, etc. Tout fait écho en nous, tout nous renvoie à notre propre approche du monde, à notre propre rapport au réel, à la mémoire et à hier. Et nous invite à ne pas cligner des yeux, à garder l'œil fixé sur la lumière qui lentement disparaît, sinon elle s'évanouira totalement. Or, il faut se souvenir de la lumière, la garder quelque part en soi.
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