Au loin, une brume vaporeuse qui dessine délicatement la silhouette dansante d'un arbre nu. Un peu plus près, quelques détails qui laissent imaginer là une vie d'été au jardin : tables en fer forgé, chaises se faisant face dans le souvenir d'une conversation, cruche blanche qui doit maintenant abriter une flore incroyable... Puis, vraiment très près, de la buée, déposée sur la vitre, comme la trace d'une présence vivante, la seule qui doit encore respirer dans ce paysage à l'arrêt, figé par le froid et le temps. Voilà les photographies de Josef Sudek, pleines d'étrangeté, de nature statufiée et de la résurgence d'un souffle de vie. Simple vue quotidienne enregistrant l'évolution du paysage compagnon, panoramas des lieux aimés, mise en scène moderniste d'objets ordinaires ou balades nocturnes dans le Prague occupé par les nazis, l'exposition ‘Le Monde depuis ma fenêtre’, présentée actuellement au Jeu de Paume, reconstruit la cartographie personnelle du photographe.
Entre visions, souvenirs et documents, les photos de Sudek témoignent autant d'un véritable regard, sensible, accru et dirigé, que d'une personnalité taciturne mais ouverte à la beauté des petites choses. Organiques et végétaux, ses paysages sont empreints d'une bouleversante désolation, d'un état de nature à la fois morts et en évolution. Ici et là percent parfois le flair d'un rayon de soleil hivernal sur la souche d'un arbre ouvert et calciné. De même qu’une fumée qui s'élève d'un toit au beau milieu d'une rue déserte, où les lampadaires semblent être les derniers habitants de cette urbanité agonisante. Son travail intimiste ouvre ainsi une petite fenêtre sur un monde aussi enchanteur qu'inquiétant. Les scènes qu'il photographie n'ont aucune figure humaine, seulement une nature muette mais vivante. L'œil se raccroche alors à des faisceaux lumineux, phares dans l’obscurité et le vide, aux gouttes de buée qu'une haleine humide a laissé sur le verre de la fenêtre et aux racines des arbres que la mousse a envahies. Par conséquent, il faut scruter ces photos, les fixer longtemps, et rendre son regard errant pour se laisser emporter par leur immobilité factice. Car rien n'est en fait immobile, il y a toujours la trace ou le souvenir d'un mouvement. Que ce soit celui, invisible, de la croissance d'un arbre ou celui dématérialisé du souffle d'un homme.
Regroupant 130 tirages d'époque selon un parcours découpé en quatre parties, l'exposition se termine par un film d'époque montrant Josef Sudek au travail. Homme des bois voûté, à qui il manque un bras (perdu à la guerre), transportant une énorme chambre noire sur son dos à travers des forêts automnales, il s'enfonce dans ce milieu végétal qui semble être le sien. Patient, précis et minutieux, il apprivoise la nature avec douceur, s'y confondant parfois. Bel hommage rendu à ce photographe tchèque méconnu de nous, ‘Le Monde depuis ma fenêtre’ nous ouvre les portes d'un monde subjectif, délicat et rude en même temps.
A découvrir, aussi, au Jeu de Paume cet été : 'Se souvenir de la lumière' de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige.
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