« Je n'ai pas eu besoin de modèle pour ma peinture, le sens du péché est mon maître. » Si elle n'a jamais fait partie des grands mouvements d'avant-garde du XXe siècle, Carol Rama pourrait presque paraître, à elle toute seule, comme un condensé d'art moderne. Marquée par Dada, influencée par le surréalisme de son ami Man Ray et le fétichisme de Hans Bellmer, descendante de la chair viennoise de Schiele, écho aux textes de Georges Bataille et précurseuse de l'arte povera, l'Italienne née à Turin en 1918 (et donc presque centenaire) a longtemps été oubliée des livres d'histoire – la belle rétrospective inaugurée par le musée d'Art moderne est d'ailleurs la première que lui consacre la France. Si les premières salles paraissent un peu hermétiques (prenez le temps de regarder les documentaires qui ouvrent le parcours avant de vous y plonger), l'exposition dévoile petit à petit toute la richesse et la sensualité viscérale de cette farouche autodidacte.
Excentrique, libre, violente, l'œuvre de cette sorte de Louise Bourgeois transalpine révèle une artiste capable tout aussi bien de fomenter des tableaux organiques avec des yeux de poupée ou des fourrures d'animaux, d'imaginer des installations mutantes à partir de boyaux de pneus de vélo, que de composer des peintures abstraites d'une rigueur mathématique. Un univers aussi foisonnant que son petit appartement-atelier turinois aux airs de cabinet de curiosités, mais qui garde toujours en tête ses immuables obsessions : le sexe, la mort, l'animalité de l'homme, sans oublier cette attirance pour le sale et les marges. L'art de Carol Rama donne l'impression de se déployer comme un corps frémissant, hybride et changeant, suintant de désir. Le meilleur exemple en reste ces aquarelles à l'érotisme mutilé, biscornu, pervers, grotesque presque, peuplées de bouches ouvertes et de langues reptiliennes qui n'ont rien perdu de leur pouvoir de subversion. L'art de celle qui, un jour, a roulé une pelle à Orson Welles, possède toujours cette provocation qui le rend si troublant. Pas de doute, la passion de Carol Rama est contagieuse.
Du mardi au dimanche de 10h à 18h / Nocturnes les jeudis jusqu'à 22h.