Le Musée d'art moderne ausculte le comportement de l'art en France durant des années de basculement (1938-1947) qui voient la guerre tourner court au profit d'un conflit insidieux, rongeant une nation humiliée, sous la coupe d'une dictature à la solde du IIIe Reich. Une période de pénurie matérielle, intellectuelle, démocratique, qui subit l'avènement d'un art officiel. Le reste, le "dégénéré", est banni des musées, relégué dans les marges, derrière les cloisons des ateliers ou de n'importe quel refuge propre à accueillir des artistes souvent pourchassés, au moins muselés.
De l'abnégation de Picasso aux images crépusculaires de Félix Nussbaum (assassiné à Auschwitz), des prémonitions macabres des surréalistes à l'unique dessin de la mystérieuse Myriam Lévy (disparue dans les camps), le parcours donne à voir les convulsions d'un monde qui non seulement refuse de mourir, mais s'affirme en plus avec une vigueur et une émotion rageuses. Il faut continuer, coûte que coûte : la ficelle, les papiers d'emballages, la cire ou une selle de vélo récupérée remplacent désormais les matériaux habituels, inaccessibles. En toile de fond, les parenthèses sur l'art officiel rappellent les tristes années d'une création policée, vantant des valeurs aujourd’hui risibles, « le génie et l'esprit français », son « goût » et sa « raison ».
Chronologique, l'exposition poursuit au-delà de la Libération, jusqu'en 1947, pour bien illustrer le double mouvement qui domine au sortir du conflit mondial. Le soulagement d'un côté, explosion créatrice nimbée de couleurs éclatantes et de visions christiques (à l'image du somptueux triptyque de Chagall). Le traumatisme profond de l'autre, exprimé par les compositions brutes, aux tons funèbres et cimentés, de Dubuffet, Soulages ou Fautrier.
Réunissant une quantité d'œuvres ahurissante (plus de 400 tableaux, dessins, sculptures, dont certaines des plus belles œuvres de l'art moderne signées Artaud, De Chirico, Miro, Matisse, Ernst, Rouault, Masereel, Giacometti, Soutine…), L'Art en guerre pâtit de ce foisonnement, accolant des noms prestigieux à de parfaits inconnus sans nous les présenter, réunissant parfois des travaux sans autre point commun que celui d'avoir été conçus durant les pires années du XXe siècle. Peut-être aurait-il fallu resserrer la sélection pour mieux se concentrer sur des questions primordiales, certes abordées mais noyées dans la masse. Comment l'art réagit-il lorsqu'il est acculé ? Quelle devient sa fonction lorsqu'il est bouté hors de la cité ? Comment l'artiste conçoit-il son rôle lorsque la vie devient absurde ? D'une sincérité confondante, la réponse de Joseph Steib, petit fonctionnaire alsacien qui peignait dans sa cuisine des Hitler condamnés à la damnation éternelle et des scènes de liesse d'une libération fantasmée de la France, apparaît comme l'une des plus inoubliables.
> Horaires : du mardi au dimanche de 10h à 18h / nocturne le jeudi jusqu'à 22h
+ d'expos d'art moderne :
> Soutine à L'Orangerie
> Hopper au Grand Palais
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