Critique

Laure Albin Guillot, 'L'Enjeu classique'

4 sur 5 étoiles
  • Art, Photographie
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Time Out dit

Laure Albin Guillot, classique ? Peut-être. Mais alors, autant que votre grand-mère qui avale ses anticoagulants avec du Picon-bière et qui gruge dans la queue du supermarché pour arriver plus vite à la messe du dimanche. Figure influente des institutions culturelles des années 1930 et 1940, la photographe parisienne incarne à bien des égards le très distingué « style français », triomphant pendant l’entre-deux-guerres mais cruellement passé de mode depuis belle lurette – un peu comme la frange roulée et les rouflaquettes.

Au Jeu de Paume, on comprend vite pourquoi ce classicisme aux cheveux gominés colle à la peau d’Albin Guillot, la reléguant depuis plusieurs décennies au rang des « ringards » de l’histoire de la photo : portraits cotonneux, enveloppés dans les brumes glamour des années 1930, nus statuesques presque trop parfaits, publicités de produits de luxe… Pas de doute, cette membre de la Société Française de Photographie penche naturellement vers une certaine esthétique de l’élégance, désuète et à la limite de l’élitisme. C’est beau, c’est délicat, c’est merveilleusement maîtrisé – mais ça ne révolutionne pas toujours le genre.

Or, derrière cette galerie de clichés plus traditionnels, la belle rétrospective du Jeu de Paume révèle aussi toute l’audace de cette artiste dont on célèbre dès 1931 les « micrographies décoratives » – de magnifiques clichés de préparations microscopiques, aux faux airs de tableaux abstraits (dont de beaux tirages sont présentés dans l'exposition). Expérimentatrice inclassable et théoricienne perspicace, elle prend sans cesse des libertés avec son art, s’essayant à différents styles et jonglant avec les moyens de diffusion les plus lucratifs de son temps : pub, presse, illustration… Si, côté publicitaire, elle privilégie les réclames d’horlogerie, de bijouterie et de cosmétique, elle ne recule pas pour autant devant des sujets moins nobles – beaucoup moins nobles, même – comme les insecticides ou les médocs pour règles douloureuses. Consciente des enjeux qui limitent une photographie encore peu reconnue par les institutions artistiques, elle cherche toujours à lui faire gagner du terrain : elle participe notamment à faire accepter le livre de photo, insinue ses clichés dans des éditions de littérature populaire (on pense à cette grossière mise en scène de crime qu’elle imagine pour la couverture de ‘Nœud de vipères’) et illustre même des bouquins érotico-lesbiens (absolument truculents, soit dit en passant). Autant d'ouvrages que l'on découvre dans la dernière salle de l'expo, pleine à craquer d'éditions rares.

Bref, Albin Guillot papillonne dans tous les sens, si bien qu’elle en devient désarmante. Insaisissable. On peine à la rattacher à un genre, à la clouer sur une branche de l’histoire. Et c’est sans doute pour cette même raison, cette versatilité qui la rend si fascinante, qu’elle a longtemps été condamnée aux oubliettes de l’art. Elle qui était trop sage pour les avant-gardes, et trop téméraire pour le carcan classique.

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De 5,50 à 8,50 €
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