Critique

Lewis Baltz : Common Objects

4 sur 5 étoiles
  • Art, Photographie
  • Recommandé
Publicité

Time Out dit

On ne peut pas reprocher au BAL d’être victime de la mode. Le fief de Raymond Depardon ne se laisse pas corrompre par le culte du divertissement facile, par le grand retour du fluo, la tyrannie du .gif animé ou le besoin de recourir une énième fois à Ron Mueck, Dali ou Monet (non, on ne vise personne…) pour gonfler sa tirelire et battre ses records de fréquentation. Non, avec cette exposition de Lewis Baltz, le BAL prouve une fois encore sa franchise radicale. Son indépendance. Sa volonté de rendre hommage aux maîtres de l’image documentaire, en dépit parfois de leur noirceur ou de leur gravité. Après les bas-fonds drogués, prostitués et viciés d’Antoine d’Agata, après la tour sud-africaine suffocante de Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse, un minimalisme austère vient recouvrir les murs de l’ancienne salle de bal, convertie en lieu culturel en 2006. Sans espoir, sans beauté, sans poésie, les paysages de Lewis Baltz glacent. Là où les photos de l’Ouest américain de Robert Adams (son contemporain et admirateur réciproque) constataient les dégâts causés par la civilisation tout en portant un regard nostalgique et lyrique sur les grands espaces du Far West, la végétation (saupoudrée de déchets) et les bourgades (sans âme) de Lewis Baltz ne croient plus en rien. Plus en une quelconque transcendance, fût-elle tragique. Plus en l’homme ni en son rêve américain. Plus en la notion même de paysage, voire d’image. Ici, on parle de « fatigue de la représentation », de « degré zéro » de la photographie, de distance, de « mesure du vide ». Dur.

Dur mais méticuleux, et parfois bouleversant. Car derrière ce que Dominique Païni, co-commissaire de l’exposition, qualifie de « fatalité expressionniste » (ces blancs vides, ces contrastes sans concessions), perce une fascination de l’Américain pour le cinéma de Godard, Hitchcock ou Antonioni dont il se nourrit pendant sa jeunesse dans les movie theaters du fin fond des Etats-Unis. Un angle sur lequel le BAL insiste, en projetant des extraits de ‘Psychose’, ‘La Notte’ ou ‘Les Carabiniers’ au milieu de l’espace d’exposition, entrouvrant ainsi de nouvelles portes pour accéder à cette œuvre dense et résignée. « Il pourrait être utile de penser la photographie comme un espace profond et étroit entre le roman et le film », confie Lewis Baltz. Et son travail s’en ressent : chaque photographie s'inscrit dans une série qui étire le temps et l’espace, se périclitant dans une multitude de prises de vues soigneusement agencées.

Parfois, la couleur fait une apparition parmi le noir et blanc, comme dans ‘Candlestick Point’ (1987-1989), où les quelques touches de bleu du ciel ou de vert des feuilles ne changent rien, ne bonifient rien, mais soulignent au contraire la désillusion et le mensonge d’un monde rongé par la catastrophe. Parfois, un récit se dessine, comme dans ‘Nevada’ (1977), où les paysages grandioses s’étalent pour mieux se briser contre des néons cassés, des maisonnettes mornes et l’arrivée des pick-ups : elle est belle, la grande conquête de l’Ouest. Et puis, il y a ces ‘Tract Houses’ (1969-1971), demeures blanches comme des toiles monochromes des années 1960, sans fenêtres, sans issue – blêmes étendards d’une urbanisation prématurément déchue. Ici, le divorce entre l’homme et le paysage est scellé. Le mal est fait, le désastre a eu lieu. Baltz en dissèque froidement les preuves, comme un criminologue face à des pièces à conviction. Mais une lueur d'espoir persiste peut-être : dans la volonté même de raconter des histoires, le nez dans la fange. En pensant, avec une admiration contenue, aux maîtres du cinéma.

> Horaires : du mercredi au vendredi de midi à 20h, samedi de 11h à 20h, dimanche de 11h à 19h, nocturne le jeudi jusqu'à 22h.

>
  [CONCOURS] Gagnez des places pour 'Lewis Baltz'.

Infos

Adresse
Prix
De 4 à 5 €
Publicité
Vous aimerez aussi
Vous aimerez aussi