Un drôle d’oiseau. Dans l’art des cinquante dernières années comme dans la vie courante, Markus Lüpertz (né en 1941) a toujours volé de ses propres ailes. Sans jamais vraiment faire son nid, ni parmi les néo-expressionnistes allemands – les Anselm Kiefer, Georg Baselitz, Sigmar Polke, A.R. Penck et autre Gerhard Richter de sa génération, dont il se démarque en flirtant tantôt avec le pop art, tantôt avec le classicisme –, ni parmi ses compatriotes germaniques, avec lesquels il fait plutôt dans le « Ich liebe dich – Moi non plus. » Inclassable, étrange, sans âge ni dieu ni loi, l’art de l’Allemand vogue librement entre les cieux bleus de l’Arcadie (terre utopique grecque où l’homme vit en communion avec la nature), et des zones de turbulence, teintées par la peur du vide spirituel capitaliste ou l’héritage écrasant du nazisme. Dans les interviews qui parsèment la rétrospective du musée d’Art moderne, on tombe ainsi nez à nez avec un personnage tortueux, à la fois artiste star et ermite invétéré, lucide et rêveur, misanthrope et altruiste. Un homme ambivalent, capable de partager avec générosité ses réflexions pointues sur la peinture, avant de balancer, au détour d’une conversation, que lorsqu’il donnait des cours à l’école des Beaux-Arts, c’était purement « par égoïsme », dans l’optique de peaufiner son discours sur la création plastique.
Bref, Markus Lüpertz paraît toujours jouer au chaud et au froid et c’est peut-être cette versatilité qui rend son œuvre aussi puissante. Cabossée, disloquée, vibrante de couleurs (chaudes et froides, forcément), son expression dégage à la fois quelque chose de cérébral et d’insouciant. Quelque chose qui lorgne vers l’allégorie, cherchant à élever les esprits et anoblir le monde. Et ce, dès la série ‘Donald Duck’ et les « peintures dithyrambiques » des années 1960 et 1970, où Lüpertz se penche sur les icônes de la consommation de masse pour traduire le pop art au langage expressionniste. Puis, dans cette rétrospective bien ficelée, suivent les toiles « mycéniennes » (on songe à l’art tribal, à Kirchner, aux ‘Demoiselles d’Avignon’ de Picasso), les abstractions ‘Kongo’ (une pensée pour Pollock, le chamanisme, Wifredo Lam), les sculptures tantôt angulaires, tantôt rondes et malaxées (proches des statues totémiques de Baselitz), et enfin les grandioses tableaux arcadiens aux faux airs de collages (là, on pense à l’Antiquité, à Chirico). Partout surgit un mélange de brutalité, d’impulsion et de douceur mesurée. En dialogue constant avec le passé quoique libre de toutes références poussives, Lüpertz apparaît finalement comme une sorte d’héritier amphibien et solitaire de l’histoire de l’art occidental. Un artiste bizarrement méconnu en France, qui dégage la noblesse des grands maîtres.
Du mardi au dimanche de 10h à 18h ; nocturne le jeudi jusqu’à 22h.