Critique

Pierre Bonnard : Peindre l'Arcadie

4 sur 5 étoiles
Derrière les couleurs chaudes et la boulimie de vie, Orsay révèle un peintre sombre et complexe.
  • Art, Peinture
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Time Out dit

On le croyait peintre de la douceur de vivre. Témoin des petits bonheurs bourgeois, simples comme une bouchée de tarte aux fraises engloutie au fond du jardin ; sensuels comme une femme nue qui prend un bain d’eau et de lumière. Et on n’avait pas tort : Pierre Bonnard a bien passé sa vie d’artiste à sublimer des scènes du quotidien, peignant le plus souvent ses proches dans des lieux intimes, imbibés des couleurs de la Normandie ou de la Méditerranée. Au musée d’Orsay, ce peintre-là s’expose dans toute sa splendeur, épaulé par une très belle sélection d’œuvres (dont une centaine de prêts). Orgies de tons chauds façon Nabi, panneaux décoratifs à la japonaise, perspectives écrasées héritées de Gauguin, distorsions liquides à la Toulouse-Lautrec, triptyques immenses et bucoliques (dont le magnifique ‘Méditerranée’), saynètes langoureuses peuplées de chats, d’enfants, de jeunes filles en fleur, de fauteuils douillets… A première vue, la rétrospective orchestrée par Guy Cogeval et Isabelle Cahn respire l’hédonisme à tout bout de champ.

Mais en regardant de près, on entrevoit les gerçures qui fendillent l'idylle et grignotent cette « Arcadie » boulimique de vie. Derrière les couleurs chaudes perce quelque chose de glaçant. Quelque chose qui apporte une dimension beaucoup plus sombre et complexe à ce peintre inclassable qui traça librement son chemin sur les routes de campagne, à l’écart des embouteillages de l’art moderne où s’entassèrent néo-impressionnistes, Fauves et autres peintres de la Sécession viennoise. Mélancolie, secrets, brisures... Dans les chambres conjugales de Bonnard, des murs se dressent entre l’homme et la femme. Sur le corps vibrant de Marthe (l'épouse), masse inerte étendue dans son bain, plane l’ombre de la maîtresse suicidée de l'artiste. Parmi les enfants qui jouent dans les vergers apparaissent des visages fuyants, masques étranges et inquiétants. Une noirceur palpable qui irrigue aussi les cueillettes de pommes et les promenades en barque, pour se cristalliser dans les autoportraits de l’artiste, d'un expressionnisme sombre.

Très dans l’air de notre temps sceptique, qui aime à chercher les cadavres cachés dans les placards, le musée d’Orsay trouve sous le vernis bonhomme de Bonnard, un personnage sinueux et amplement contemporain. Ici, les vues en plongée qui entassent tout à la verticale et racontent des histoires naïves comme des contes d’enfants, apparaissent enfin au grand jour, dans toute leur fausse candeur. Pierre Bonnard en ressort beaucoup moins lisse. Et procure peut-être un plaisir encore plus grand, mais vicié.


> Horaires : tous les jours sauf le lundi de 9h30 à 18h ; nocturne le jeudi jusqu'à 21h45.

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