Une réalité peut en cacher une autre. Prenez la couverture d'un magazine : ses couleurs, son titre racoleur, l'objet ou la personne qu'elle met en avant. Cette première couche d'information dissimule des pages et des pages d'images et de texte, nappes phréatiques invisibles au premier coup d'œil, qui vont remonter à la surface au fur et à mesure que l'on feuillette la publication, irriguant notre compréhension de l’ensemble. Ce mensonge par omission s'opère à chaque instant où nous, pauvres mortels limités par nos habitudes et notre vision en trois dimensions, focalisons notre attention sur le premier plan de la réalité. Une escroquerie constante du monde visible, qui constitue la moelle épinière de l'œuvre de Renaud Auguste-Dormeuil. Ce qui intéresse cet ancien élève de Christian Boltanski, actuellement exposé au MAC/VAL, à la Fondation Ricard et à la galerie in Situ, c'est de nous pousser sur le bas-côté. Vers ce qui se passe hors-champ. Comme si l'on était soudain dotés d'une vision en rayons X, nous permettant de voir au-delà du vernis du monde qui nous entoure.
Pour en faire l'expérience, l'exposition de la Fondation Ricard présente trois cas d'école, parfaitement révélateurs de la méthode de l'artiste. D'abord viennent les bataillons de magazines italiens : des numéros de Storia, une revue d'histoire, et de Il Borghese, un mensuel d'extrême droite doté d’un penchant prononcé pour les pin-ups et les grosses machines (souvent les deux en même temps). Autant de périodiques que le Français a ingénieusement découpés, de façon à modifier l'image présentée en Une. Ici, un flic s'incruste sur une plage où se languit une signorina bien roulée ; là, Winston Churchill se pavane avec une coiffe de tribu africaine ; ailleurs, un homme, menaçant, semble s’approcher d’une fille à califourchon sur un tournevis géant (si, si). Partout, Renaud Auguste-Dormeuil fait surgir un élément, jusque-là camouflé à l'intérieur de la revue, en coupant à travers l'épaisseur des pages. Une imposture qui vient révéler, souligner ou modifier le sens de la Une, y apportant souvent une pincée d'ironie. Peu importe le sens ou le non-sens de l'image finale – l’accent est plutôt mis sur le geste : le fait même de fouiller, de provoquer une rencontre, un mystère, un imprévu. De ne jamais accepter la hierarchie des images telles qu’elles nous sautent aux yeux, arbitraires, sans nous demander notre avis.
Dans la même veine, arrive ensuite ce 'Vertigo' travesti. Auguste-Dormeuil bidouille le film d'Hitchcock pour n'en conserver que les séquences dépourvues de dialogue : un sabotage qui draine l'œuvre du cinéaste de toute sa cohérence narrative, pour en faire une sorte de fresque de robes, de baisers, de paysages en carton-pâte et de travellings poussifs. Efficace. Un Hitchcock sans le suspense ressemble finalement à une sorte de voyage gominé, très glamour, très surfait, très poudreux. On le picore comme une lasagne sans Béchamel. Sans conviction. Un malin plaisir pour l’amputation des images que l’on retrouve encore dans les portraits sur lesquels s’achève cette (brève) exposition. Ici, l'artiste photographie des collectionneurs d’art pour mieux tronquer leur effigie. Pas de visage, pas de torse, toute la partie centrale a disparu, abolissant l'essence même du portrait, censé affirmer une identité. Dans tous les cas, le Français donne de gros coups de ciseaux dans la réalité. Comme pour trouver, dans la brèche, quelque chose de plus vrai.
> Horaires : du mardi au samedi de 11h à 19h. Visites commentées le mercredi à 12h30 et le samedi à 12h30 et 16h.
> Les autres expos de Renaud Auguste-Dormeuil, à voir rapidement :
‘Fin de représentation’, jusqu’au 1er février à la galerie in Situ Fabienne Leclerc.
Renaud Auguste-Dormeuil y révèle un beau cocktail d’œuvres. Une vue des constellations à New York la nuit du 10 septembre 2001, un portrait tronqué de Margaret Thatcher, encore des découpages de magazines, une jeune femme dont le portrait a été effacé dans toutes ses photos de famille… Plusieurs séries ou extraits de séries à se mettre sous la dent. Un conseil : pour mieux savourer tout ça, prenez quelques instants pour lire les explications dans le classeur fourni par la galerie.
‘Include me out’, jusqu’au 19 janvier au MAC/VAL.
Pour ceux qui ont envie de traverser le périph’ histoire d’en voir encore plus, l’excellent musée d’art contemporain du Val-de-Marne propose une grande exposition personnelle d’Auguste-Dormeuil, en forme de parcours initiatique.