Tout commence sur une scène de crime. Celle, plantée parmi les arbres d’une bourgade de Virginie, où Troy Webb aurait volé, violé et kidnappé, avant d’être condamné à sept ans de prison. Celle, planquée au bord d’une rivière éclairée par les phares d’un pick-up, où Charles Irvin Fain aurait perpétré le meurtre qui l’a précipité derrière les barreaux pendant dix-huit ans. Selon une démarche qui n’est pas sans rappeler le travail d’investigation et de dénonciation du journaliste David Grann, Taryn Simon est allée mettre le nez dans les erreurs judiciaires des Etats-Unis. Les bourdes policières passées sous silence. Les vies brisées par la taule, pour un oui ou pour un non. Avec ses portraits d’ex-condamnés photographiés sur le lieu des crimes qu’ils n’ont jamais commis, la série ‘The Innocents’ donne le ton : subtile, caustique, révoltée, l’artiste américaine pose les questions qui fâchent, pour déboulonner les mythes entretenus par l’Etat.
Taryn Simon se bat sur plusieurs fronts. Tantôt satiriste des torts et des travers de l'Oncle Sam, archiviste des temps présents ou porte-parole de morts-vivants (‘A Living Man Declared Dead’), l’Américaine creuse ses sujets en profondeur pour trouver, dans les zones d’ombre, le talon d’Achille du pouvoir – qu’il soit médiatique, politique, judiciaire, militaire ou idéologique. Au Jeu de Paume, les vérités qu’elle exhume sous les couches de nationalisme et d’artifice sont exposées soigneusement, presque cliniquement, comme les pièces d’une fouille archéologique. Ici, elle affiche des centaines d'objets de « contrebande » conservés par la douane à l’aéroport de New York (fruits, médicaments, dépouilles animales, statues, drogue). Là, les portraits des descendants du conseiller juridique d’Hitler, auprès de reproductions d’œuvres d’art qu’il avait spoliées. Ailleurs, des images recueillies dans la bibliothèque de Mid-Manhattan, sorte de mémoire vive de l’Amérique (Google avant l’heure ?) où l’on range, depuis des lustres, des photos classées selon un système fourre-tout de mots clés (« ennemis », « piscines », « blessés », « paniques financières », « scènes vues de dos »...).
La fabrication de la pensée et l'hypocrisie de l'Etat en prennent pour leur grade, notamment dans 'An American Index of the Hidden and Unfamiliar', série surprenante et ultra-documentée où Taryn Simon nous parle autant de propagande artistique que d’hyménoplastie, de congélation de cadavres ou de pornographie ; sans oublier de désacraliser, au passage, le grand mythe du tigre blanc. Chaque sujet est traité avec un savant mélange de culot et de finesse, pour éclairer les complexités d’un monde qui se cache derrière sa vitrine proprette. Ou comment bâtir un travail critique salutaire avec des archives, de la lucidité et de l'ironie.
> Horaires : le mardi de 11h à 21h et du mercredi au dimanche de 11h à 19h.
> [CONCOURS] Gagnez des places pour l'exposition Taryn Simon au Jeu de Paume.