Critique

The Museum of Everything

4 sur 5 étoiles
  • Art, Dessin
  • Recommandé
Publicité

Time Out dit

Un beau jour de 1957, au fin fond de la Louisiane, Sœur Gertrude Morgan entend des voix. Convaincue d’être la « Fiancée de l'Agneau de Dieu », l’évangéliste américaine se met à se vêtir de blanc et à peindre compulsivement des toiles peuplées de jeunes mariées immaculées. Des personnages aux traits candides et rudimentaires, s'envolant vers les cieux comme des anges ou des apparitions fantomatiques – un peu à la manière des époux de Marc Chagall, la volupté en moins.

Des artistes « outsiders » et autodidactes, nourris de convictions aussi mystiques, étranges et puissantes que celles de Sister Gertrude, le Museum of Everything en renferme des dizaines. Après avoir posé ses valises à Londres, Turin et Moscou, le cabinet d’art brut de James Brett débarque à Paris, dans le Chalet Society de Marc-Olivier Wahler, boulevard Raspail. Marginaux, souvent psychologiquement fragiles, poussés par des visions religieuses, oniriques ou fantastiques, les créateurs réunis dans cette ancienne école du 7e arrondissement n’ont jamais vraiment destiné leurs œuvres à être exposées. Dans la plupart des cas, leur art a été un moyen presque thérapeutique d’exprimer leurs obsessions, en bidouillant les matériaux qu'ils avaient sous la main. Les dessins du désormais célèbre Henry Darger – qui, après avoir été abusé pendant son enfance, se réfugia dans un univers inquiétant mêlant contes de fées, surréalisme et violence – ont même été trouvés entassés sur son lit de mort, comme des sortes d’épaves archéologiques, réchappées du plus profond de son esprit torturé.

Avec ses vieux murs râpés, son parquet grinçant et ses recoins intimes déployés sur plusieurs étages, le bâtiment poussiéreux choisi par Brett rend un formidable hommage aux rêves les plus fous de ces artistes tapis dans l’ombre de l’histoire de l’art. Au fil de ces couloirs étroits et de ces pièces qui abritaient autrefois des salles de classe ou des lavabos, roupillent désormais les appareils photo en céramique du sculpteur aveugle Alan Constable, les mobiles en ferraille imaginés à partir d’outils agricoles par Emery Blagden (ex-clochard ayant hérité d'une ferme dans le Nebraska) et les autoportraits héroïques d’Alexandre Lobanov, où le sourd-muet russe se représente fusil en main, détournant avec ironie le style de la propagande soviétique.

Parfois poétique et raffiné, parfois éraillé comme un vieux blues solitaire, le parcours trouve le juste ton pour honorer ces manifestations presque « automatiques » de l’imaginaire. Des poupées angoissantes de Morton Bartlett aux cathédrales en morceaux de radios signées ACM, le Museum fait revivre ses œuvres avec un respect immense, en ne les présentant ni comme de l’artisanat, ni avec des couches indigestes de pathos, comme c’est parfois le cas avec l’art « outsider ». Ici, d'aimables médiateurs répondent aux questions des visiteurs pour éclairer ces créations qui habitent (hantent ?) tout simplement les lieux, comme si elles se trouvaient dans leur élément naturel.

Après la grand-messe commerciale de la FIAC la semaine dernière, on ne peut que recommander cette merveilleuse exposition qui vient rappeler que le désir de créer provient, avant et par-dessus tout, d’un besoin humain. Et viscéral.

> Horaires : du mercredi au jeudi de 11h à 19h et du vendredi au dimanche de 11h à 20h

Infos

Adresse
Prix
5 €
Publicité
Vous aimerez aussi
Vous aimerez aussi