Avant de pousser la porte de la galerie Lavignes-Bastille, peut-être faudrait-il prendre soin de déposer votre neveu de 6 ans et demi dans la librairie de BD d’en face, un bon vieil ‘Astérix’ sous les yeux. Car la potion magique dans laquelle trempent les dessins et peintures des United Dead Artists ressemble davantage à un acide corrosif et libidineux, éclaboussé de délires scatologiques, qu’à une soupe bienfaisante bonne à botter les méchants Romains. Pas vraiment le genre de décoction à conseiller aux âmes sensibles ; exactement le genre de concentré de noirceur à recommander, en revanche, aux amateurs de bassesse, sauce freaks.
Pour situer, si vous aviez aimé l’art « outsider » de l’exposition ‘Hey !’ présentée à la Halle Saint-Pierre l’an dernier, vous serez sans doute séduit par l’univers écorché, tapi dans les marges de l’art contemporain, qui grouille dans la galerie nomade Arts Factory (installée pour quelques mois, donc, chez Lavignes-Bastille). Stéphane Blanquet, artiste prolifique bien connu des milieux de la bande dessinée indépendante et fondateur de la maison d’édition United Dead Artists, y réunit une soixantaine de dessinateurs et peintres, héritiers des cauchemars les plus fous de Jérôme Bosch, des divagations métamorphiques de Magritte et autres fanges obscures et déviantes de l’histoire de l’art.
Moelle épinière de l’exposition, le corps – grotesque, difforme, onirique, trituré – y subit un déluge de fantasmes, tous plus sombres et plus déjantés les uns que les autres. Entre les harpies callipyges de Namio Harukawa, les collages rétrofuturistes de Hope Kroll et les hommes à tête de chou, de mains ou d’organes imaginés par Tristan des Limbes ou Aleksandra Waliszewska, tous les prétextes sont bons pour une partie de pattes en l’air et autres cavalcades macabres. Pendant que les ombres fulminantes de Blanquet s’échappent du papier pour s’accrocher à des toiles, ses créatures aux penchants expressionnistes vont même jusqu'à prendre corps dans le plâtre : au sous-sol, c'est une sorte de comité d’accueil en carton-pâte qui semble attendre, sournoisement, sur le ponton qui sépare la vie de la mort.
Autant de microcosmes troublants où les espadons, concupiscents, hument l'intimité des nageurs du dimanche, où les Lego commandent des armées (Captain Cavern) et où les rues de Paris baignent dans d'épaisses couches de débauche (Lolmède). Mais ne vous laissez pas refroidir par la feuille de route de cette plongée glissante dans « l'underground » : l’accrochage, intelligent, regorge de pièces de qualité et, au final, c’est un savoureux sentiment d’étrangeté qui l’emporte. Quand l’enfer est pavé de pépites graphiques, on met joyeusement son nez dans la fange.
> Infos pratiques :
Où ? Arts Factory & galerie Lavignes-Bastille, 27 rue de Charonne, Paris 11e (métro Ledru-Rollin ou Bastille)
Quand ? Du mardi au vendredi de 12h30 à 19h30, le samedi de 11h à 19h30
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