Dans le monde de Valérie Jouve, les frontières ne se dessinent pas entre deux montagnes, deux rives d’un océan, deux grilles de salaire ou le long de murs érigés par l’homme pour séparer les citoyens de différentes nations. Non, chez l’artiste française, le monde contemporain se joue sur des territoires urbains sans signes distinctifs. Là, cloués au bitume, à l’ombre des immeubles, les êtres humains se divisent en deux catégories : ceux qui résistent (« les personnages »), et ceux qui subissent sans broncher (« les passants »). A cette équation s’ajoutent différents types de lieux et d’événements : « les situations » (un embouteillage, par exemple), « la rue », « les paysages », « les façades ». Une logique solide comme le ciment des HLM, qui charpente le travail de Jouve depuis les années 1980, interrogeant la manière dont nos corps résistent (ou pas) à la normalisation sociale et urbaine.
Vous l’aurez compris : entre sociologie, art et reportage, les photos et vidéos de Valérie Jouve sont chargées d’une réflexion complexe et subtile, pas toujours évidente à retranscrire entre les murs d’un musée. Après le MAC/VAL, c’est au tour du Jeu de Paume de relever le défi, avec une exposition qui propose de suivre le sillage d’une carrière qui file droit depuis plus de vingt ans. Pensée par l’artiste, la scénographie joue habilement sur des associations d’images, invitant le visiteur à devenir, à son tour, le sujet de cet univers où les arbres, les citadins, les voitures et les édifices se côtoient pêle-mêle, sautant au regard par petites touches – un peu comme des pixels qui se seraient échappés de l’écran, pour réorganiser le monde et lui donner de nouveaux sens. Tout ça, Valérie Jouve, l’ancienne étudiante en anthropologie, nous le raconte avec un langage fluide, discret, intelligent. Mais pas forcément facile à saisir.
En film, cette pensée se traduit essentiellement par des portraits d’individus qui « résistent » à l’abrutissement de la vie contemporaine : on assiste à de longs voyages dans le désert, on part à la rencontre de Palestiniens (avec lesquels elle a beaucoup travaillé, les invitant à se réapproprier leur territoire, notamment en le photographiant par eux-mêmes), on suit une chanteuse de blues française qui a posé ses valises au Guatemala. Où qu’elle aille, derrière l’objectif de Valérie Jouve le corps apparaît comme la seule arme réellement capable de lutter contre la bêtise et le béton – le vrai lien entre l’homme et sa nature profonde.
Le mardi de 11h à 21h et du mercredi au dimanche de 11h à 19h.