'Casablanca' (1942) de Michael Curtiz, avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman
Amour, nostalgie, passion, espionnage, politique : si ‘Casablanca’, l’un des chefs-d’œuvre hollywoodiens de Michael Curtiz, se place au premier rang de notre classement des meilleurs films romantiques, c’est qu’il dépasse de loin, dans son propos, les habituelles problématiques du genre, tout en réussissant à en exploiter, avec brio, les nombreux poncifs. « Quand tous les archétypes déferlent sans aucune décence, on atteint des profondeurs homériques. Deux clichés font rire. Cent clichés émeuvent », écrira d’ailleurs à son sujet Umberto Eco.
En 1942, fuyant le nazisme et la guerre, des Européens affluent à Casablanca dans l’espoir de réussir à émigrer aux Etats-Unis. Dans cette fourmilière à la tension palpable, un Américain cynique et désabusé, Rick Blaine (Humphrey Bogart, impérial) tient un bar de luxe où se retrouve une faune hétéroclite : réfugiés, escrocs, résistants ou collabos. Un soir, Ilsa Lund (Ingrid Bergman), l’ancien amour de Rick, déboule accompagnée de son mari, un chef de la Résistance tchèque activement recherché par les nazis, et lui demande de leur venir en aide.
Assez clairement, le film est apparu comme une œuvre de propagande, visant à justifier auprès du peuple américain une intervention militaire en Europe. Rien qu’en cela, la portée de ‘Casablanca’, récompensé par trois Oscars (meilleurs scénario adapté, réalisateur et film), paraît historique. Mais en termes artistiques, le film de Curtiz se place au même niveau, jouant sur le charisme fou de l’impossible couple formé par Bogart et Bergman, mais aussi sur des seconds rôles impeccables (parmi lesquels Peter Lorre, inoubliable interprète du ‘M le Maudit’ de Fritz Lang), une photographie à faire pâlir les studios Harcourt et une progression mélodramatique implacable.
Au fond, si ‘Casablanca’ semble a posteriori moins génialement moderne que le polar ‘Le Grand Sommeil’ (1946) d’Howard Hawks par exemple (mettant également « Bogey » en scène, cette fois aux côtés de Lauren Bacall), c’est sans doute aussi ce côté immédiat, populaire, qui en fait une œuvre romantique incomparable. Ici, la passion est tragique, l’homme généralement lâche et Paris la plus belle ville du monde… Certes, ce n’est pas nouveau. Mais c’est tellement bien fait qu’on se saurait que succomber à ‘Casablanca’. – AP