L'Aurore (1927) de Friedrich Wilhelm Murnau, avec Janet Gaynor et George O'Brien
Oui, ‘L’Aurore’ est sans doute ce « plus beau film du monde » qu’évoquait François Truffaut. Bien sûr, il est muet, en noir et blanc et date de 1927, ce qui pourrait a priori en décourager certains. Il demeure pourtant l’une des œuvres les plus poignantes jamais vues sur grand écran. Amour, mort, trahison, rédemption : l’histoire ressemble à une légende immémoriale, entre simplicité et profondeur. D’ailleurs, les personnages sont anonymes, simplement crédités comme « L’Homme » (George O'Brien), « La Femme » (Janet Gaynor) ou « La Femme de la ville » (Margaret Livingston).
En vacances à la campagne, une citadine drague un fermier, lui faisant miroiter la possibilité de venir vivre avec elle parmi les lumières de la ville. Elle lui conseille donc de tuer sa femme, avec laquelle il vient d’avoir un enfant. D’abord révolté par cette idée, le fermier tente de l’étrangler, mais leur dispute finit dans une étreinte. Plus tard, le fermier convie sa femme à une promenade sur le lac et tente de la noyer, mais s’en révèle finalement incapable. Effondrée, la femme fuit alors vers la ville. Son mari se lance à sa poursuite pour la reconquérir. Ensemble, ils vont dériver jusqu’à l’aube.
L’histoire est forte, bourrée de symboles, mais c’est surtout la réalisation de Murnau, éclatante, qui noue la gorge du spectateur. Comme lors de cette séquence où, fuyant son mari, la femme traverse une avenue comme si elle courait au suicide, tandis que l’homme se jette à sa suite : en jouant sur les surimpressions d’images (du couple et de voitures lancées à toute allure), le réalisateur de ‘Nosferatu’ parvient à créer un univers à la fois onirique et moderne, mythique et palpable, que le mutisme de ‘L’Aurore’ rend encore plus fort. Car ici comme dans l’érotisme, l’amour passe par des gestes subreptices, incertains, plutôt que par le discours. D’ailleurs, on pourrait en écrire des pages et des pages, on n’arrivera jamais à épuiser la puissance de ce film, où la passion, contradictoire, indicible, dépasse de loin son expression verbale. Et laisse le spectateur coi, interdit devant la beauté nue, à pleurer, de ce film aussi bouleversant qu’inoubliable. – AP