Critique

Kenneth Anger

3 sur 5 étoiles
  • Recommandé
Publicité

Time Out dit

Comme les noms de Maya Deren, Stan Brakhage ou Jonas Mekas, celui de Kenneth Anger résonne comme une référence désormais classique du cinéma expérimental américain des années 1950-60. Seulement, vu que le qualificatif « expérimental » dessert assez généralement les singularités d’une œuvre, on en oublie souvent de regarder ses films. Cela pour dire qu’on peut se réjouir de la projection, à la Galerie du jour, de deux des plus fameux films de Kenneth Anger : ‘Puce Moment’ et ‘Inauguration of the Pleasure Dome’ (titre prometteur, s’il en est).

Passons donc rapidement sur les documents exposés (principalement des séries de photos) empruntés aux fonds d’archives personnels d’Anger, collectionneur compulsif de 85 ans (pour lequel plusieurs étages d’exposition auraient sans doute été nécessaires), et qui n’ont vraiment d’autre fonction ici que d’illustrer le goût du cinéaste pour les premières heures du septième art et l’imagerie hollywoodienne des années 1920 et 30. Passons ainsi sur ces portraits de l’ère du muet, sur ces poses parfois suggestives ou fantaisistes de femmes fatales ou d’éphèbes, pour nous concentrer sur les deux films projetés, à commencer par ‘Puce Moment’ (1949), court métrage de six minutes et porte d’entrée idéale à l’univers féticho-surréaliste d’Anger.

Une atmosphère entre glamour et spiritisme, quelques robes chatoyantes trémoussées devant l’objectif, un sofa qui bouge tout seul et les yeux bleus, les lèvres espiègles d’une jolie brune aux cheveux courts (Yvonne Marquis – dont Anger, immense amateur de ragots people, révéla qu’elle fut la maîtresse d’un ancien président du Mexique, Lazaro Cardenas) : en une poignée d’images, accompagnées de deux uniques et splendides chansons psyché-folk de Jonathan Halper (dont les mélodies évoquent à la fois Syd Barrett et le Velvet, mais qui serait devenu moine peu après leur enregistrement), ‘Puce Moment’ se présente tour à tour comme une rêverie érotisante et un essai sur la couleur, un prolongement de Méliès et un hommage personnel d’Anger à sa grand-mère, costumière à Hollywood… Et il est réjouissant de constater combien ces quelques minutes paraissent plus inventives qu’une bonne majorité des longs métrages exploités en salles.

Le second film, ‘Inauguration of the Pleasure Dome’ (1954), plus long (38 minutes) et nettement plus ésotérique (puisqu’inspiré d’Aleister Crowley), développe d’une autre façon le même type de langage visuel : où vêtements, parures, maquillages, bijoux, cheveux teints ou perruques servent de supports à des variations de formes et de couleurs, au gré de surimpressions ou de ralentis. Le long de ce rituel psychédélique sur fond d’opéra, le spectateur croise des miroirs prophétiques, des pentacles de verre, des démons grimaçant, ou encore l'écrivain Anaïs Nin, la tête prise dans une cage à oiseaux. Mais qu’on rentre ou non dans la mystique et l'hermétisme de Kenneth Anger, 'Inauguration of the Pleasure Dome' n'en reste pas moins un fascinant trip visuel, où, débarrassée de la parole, l'image se décompose en illuminations, jeux de contrastes et d'équilibres, pour développer une forme de narration réflexive qui rappelle Germaine Dulac ('La Coquille et le clergyman', 1926) et anticipe le symbolisme déviant d'un 'Eraserhead' (Lynch, 1977).

Deux films de colère, fulgurants et fous, à voir en grand – et gratuitement – à la Galerie du jour (pourquoi pas avant un apéro rue Quincampoix ?) : c'est quand même nettement mieux que de les visionner en streaming… En attendant une rétrospective plus complète du mage cinglé de 'Lucifer Rising'.

> Horaires : du mardi au samedi de midi à 19h

Infos

Adresse
Prix
Entrée libre
Publicité
Vous aimerez aussi
Vous aimerez aussi