‘Amour’ est un film poignant, dévastateur et juste : huis clos sur un couple d’octogénaires, Georges et Anne (superbement interprétés par Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva), face à la mort et au déclin physique. Mais enfin, c’est surtout un film sur l’amour (bien vu), dans ce qu’il a de moins niais, de plus viscéral ; la question étant, au fond : peut-il tenir à hauteur de la mort ? Or, Haneke répond par l’affirmative. Et disons-le tout de suite, ça dessèche la gorge, d’autant plus qu’il n’y a pas une once de pathos. La profonde simplicité de son motif, alliée à la réalisation au couteau du grand Autrichien – à coups de plans fixes précis, avec un beau sens des volumes, et d’une utilisation virtuose du hors-champ – fait de ce film un choc autant esthétique qu’émotif. Hors du couple, à peine quelques intervenants : leur fille (Isabelle Huppert, parfaite comme à son habitude), un ancien élève (le pianiste Alexandre Tharaud dans son propre rôle), ou le couple de gardiens de l’immeuble parisien où logent Anne et Georges. Avec, au centre, leur corps-à-corps avec la mort. On n’en dira davantage, afin d’éviter de gâcher quoi que ce soit de ce film au scénario minimal, mais précisons que ce qui fait de cet ’Amour’ une œuvre incomparable, c’est qu’une nouvelle fois (après ‘Le Ruban blanc’ en 2009), Haneke laisse derrière lui la violence de ‘Funny Games’ ou de ‘La Pianiste’ pour s’attacher à une élégie de la douleur sobre, sincère. ‘Amour’ a beau ne fermer les yeux sur rien, il
Nos critiques des films sélectionnés
Après une campagne publicitaire démesurée aux Etats-Unis et des critiques enthousiastes ici comme là-bas, nombreux sont ceux qui prédisent à ‘Argo’ une ou plusieurs nominations aux Oscars. Pourtant, le film de Ben Affleck, s’il est drôle, haletant, émouvant – bref, parfaitement divertissant – mérite-t-il un tel honneur ? Comme tout bon film à Oscars, ‘Argo’ raconte une histoire vraie : celle d’une mission secrète de la CIA, longtemps restée confidentielle. En 1979, alors que l’ambassade américaine de Téhéran est prise d’assaut, six employés parviennent à s’enfuir et se réfugient chez l’ambassadeur canadien. La CIA met alors en place leur exfiltration. La technique : faire passer nos planqués pour l’équipe de tournage d’un film fantastique, venue en Iran pour une mission de repérage. Malgré un casting exceptionnel – Bryan Cranston, Victor Garber, Kyle Chandler, Tate Donovan et, surtout, Alan Arkin et John Goodman en duo hilarant de pontes du cinéma – on ne peut s’empêcher d’être gêné par l’aller-retour maladroit entre drame géopolitique et comédie sur Hollywood, parfois subtile, parfois franchement lourde. Affleck, qui doit penser que la qualité d’un film tient à sa crédibilité, a également voulu donner à son troisième long métrage un caractère « authentique ». Ainsi, ‘Argo’ affiche un parfait look 70’s, de la couleur et la qualité de l’image aux logos vintage, en passant par les cadrages, le rythme des séquences (parfois ostensiblement inspirés de Lumet et Pakula) ou les inév
Benh Zeitlin : voilà assurément un nom dont il va falloir se souvenir. A tout juste 30 ans, le jeune New-Yorkais, tombé amoureux des paysages de la Louisiane, livre avec ce premier long métrage une odyssée fantastique, foisonnante et solaire. La narration y épouse le point de vue de Hushpuppy (Quvenzhané Wallis), pétillante gamine de 6 ans qui affronte, aux côtés de son père (Dwight Henry), la crue apocalyptique du bayou où ils résident. Or, précisément, toute la puissance du film tient à cette focalisation, à l’innocence de ce regard, qui ramène systématiquement le spectateur en enfance, où le rêve, la réalité, les fantômes, les éléments naturels et des mastodontes préhistoriques forment une symphonie étonnamment cohérente et singulière. La mort, la transmission filiale, le rire, la communauté, le souvenir, la fin du monde ou sa genèse : de multiples thèmes, costauds et ambitieux, traversent le film, sans pourtant jamais en alourdir la féerie. Au contraire, ils la densifient, fécondant le merveilleux des images par de lyriques envolées philosophiques, panthéistes ou poétiques. Emouvant et baroque, drôle et inventif, affectionnant les ruptures de ton, tout en développant une identité visuelle parfois virtuose, le conte de Benh Zeitlin restera certainement l’ultime bonne surprise cinématographique de 2012. Un peu comme si Terrence Malick avait pris un sérieux bon coup de jeune. Plutôt réjouissant.
Comme disait la chanson (joliment cruelle) d’Antoinette Des Houlières : « un amant sûr d’être aimé cesse toujours d’être aimable »… Eh bien, de même, ce Tarantino trop sûr de lui finit par nous paraître inutilement redondant, et presque vain malgré la sympathie qu’on éprouve pour sa maîtrise visuelle et son évident sens du cool. Sans doute, à force, ses pirouettes de petit malin nous auront lassés. Ceci dit, les inconditionnels du réalisateur prognathe en auront pour leur argent, et se réjouiront de retrouver dialogues décalés et effusions d’hémoglobine dans ce ‘Django Unchained’ attendu comme le messie. D’ailleurs, ne soyons pas bégueules, et reconnaissons qu’après avoir brillamment incarné le nazi polyglotte d’‘Inglourious Basterds’, Christoph Waltz y est à nouveau impeccablement classe (et à mourir de rire), que Jamie Foxx campe un cow-boy rebelle vraiment fringuant, et que DiCaprio excelle dans son rôle d’ordure esclavagiste. C’est donc entendu : ce western spaghetti au second degré reste tranquillement au-dessus de la mêlée des blockbusters indigents ou donneurs de leçon qui squattent bon nombre d’écrans… Le débat n’est pas là. Le problème, c’est plutôt que Tarantino, naguère brillant formaliste, se contente ici d’un récit linéaire, délibérément simpliste, qu’il finit par saborder faute de mieux, et que cette limite constitue une aporie dont son cinéma ne semble pouvoir s’extraire. Talentueux mais tape-à-l’œil, c’est au fond toute l’impasse du cinéma « postmoderne » qu’o
Après avoir conduit un train ‘Unstoppable’, Denzel Washington pilote un avion impilotable dans ‘Flight’, nominé aux Oscars dans les catégories Meilleur acteur et Meilleur scénario. Il y incarne Whip, un alcoolique de haut vol doublé d’un cocaïnomane qui, par une manœuvre improbable, sauve son avion d’un crash a priori inévitable. Miracle, l’accident ne fait presque aucune victime, et Whip devient un héros populaire instantané. Oui mais voilà : une heure avant, notre commandant de bord s’était tapé quelques rails et plusieurs fioles de vodka. Une faute professionnelle grave qui, si elle était découverte, pourrait l’envoyer en prison. La bande annonce nous vendait un film d’action, axé autour du crash et de ses conséquences juridiques. A la place, Robert Zemeckis (‘Forrest Gump’, ‘Seul au monde’) nous sert un mélo un peu faible sur l’addiction de son héros. On ne peut que regretter cette direction prise par le réalisateur, surtout au vu de la scène de crash, horrifique, de loin la meilleure du film. Voulant sans doute saisir la douloureuse complexité de l’âme humaine, Zemeckis choisit plutôt d'en rajouter dans le pathos. Comme si la déchéance de Denzel Washington – qui bave et grommelle à la perfection – ne suffisait pas à illustrer son propos, il introduit un second personnage : une jolie junkie qui, après s’être shootée sur fond de “Under The Bridge” des Red Hot – bonjour la subtilité – décide de reprendre sa vie en main. Avec ses seconds rôles sympathiques (Don Cheadle en
C’est l’exemple typique du film qui, à force d’omniprésence médiatique, finit par convaincre tout le monde qu’il est bien. Alors que les teasers et bandes-annonces pour ‘Happiness Therapy’ envahissaient déjà les cinémas américains il y a six mois, Jennifer Lawrence – l’actrice principale – écumait les soirées hollywoodiennes en quête de votes pour les Oscars. Résultats en janvier : huit nominations. Pourtant, le film de David O. Russell (réalisateur de ‘The Fighter’, sept fois nominé aux Oscars 2011) est loin de les mériter. On y découvre Pat, un instit’ qui retourne vivre chez ses parents après un passage de huit mois par la case hôpital psychiatrique. Ce trentenaire impulsif, incarné par Bradley Cooper, avait en effet un peu déraillé du boulon après avoir découvert sa femme sous la douche avec un autre. Fraîchement réhabilité, il n’a qu’une seule idée en tête : la reconquérir. Sauf qu’entre-temps, il rencontre Tiffany (Jennifer Lawrence), une névrosée plantureuse qui se console par le sexe depuis la mort de son mari. Le bipolaire et la nymphomane se lient d’amitié après avoir comparé leurs ordonnances, et hop, les voilà bientôt sur le chemin de la rédemption, en lice pour un concours de danse amateur qui les aidera à « voir la vie du bon côté » (c’est ce que signifie le titre en anglais, ‘Silver Linings Playbook’). L’idée de départ est ambitieuse, un peu trop même : David O. Russell tente d’aborder des thèmes incroyablement lourds – le deuil, la maladie mentale – à travers
Pour une fois, voilà un film dont on n’aura pas à craindre de spoiler : comme on s’en doute, Lincoln réussit effectivement à abolir l’esclavage, et il meurt à la fin. Ah, vous ne saviez pas ? Bref, trêve de plaisanteries : l’intérêt du film ne tient donc pas à son suspense inexistant, mais plutôt à sa narration, étonnamment précise, centrée autour du passage du 13e amendement et des derniers mois du seizième président des Etats-Unis. Ainsi, plutôt qu’une impossible biographie-fleuve, Spielberg nous livre un cours d’histoire assez strict et relativement exempt de pathos. Ce qui paraît plutôt positif, d’autant que les interprètes, Daniel Day-Lewis et Tommy Lee Jones en tête, semblent tout à fait convaincants dans des rôles qui sentent les Oscars à plein nez. Aussi est-on, dans un premier temps, agréablement surpris par la sobriété du film de Spielberg – surtout lorsqu’on resonge à son récent ‘Tintin’ en motion-capture et à son impardonnable ‘Indiana Jones 4’. Pourtant, au fil de ses 2h30, on a quand même passablement le temps de s’ennuyer devant ce qui se révèle, au final, une nouvelle séance d’autocélébration made in USA. En effet, avec les blockbusters ‘Argo’, ‘Zero Dark Thirty’ et – bien que dans un autre genre – ‘Django Unchained’, ce ‘Lincoln’ participe de l’actuelle tendance lourde du cinéma hollywoodien à vouloir nous conter, en long, en large et en travers, l’histoire de l’Amérique. Ce qui finit par apparaître comme une forme de nombrilisme pénible et un peu pompeux : d
Prenons le parti, sur quelques lignes, de défendre cette comédie musicale, registre si atrocement niais que même Gad Elmaleh l’a pris en grippe. Ambitieux, ces ‘Misérables’ le sont assurément : adaptées du musical de Broadway – et non pas du roman de Victor Hugo –, ce sont presque trois heures de film, tournées majoritairement en France, dans des décors naturels. Mais surtout, trois heures de chansons enregistrées en direct, plutôt qu’en studio : pari impressionnant pour un genre plutôt habitué au playback. Alors, c’est parfois faux. Les performances, entre deux reniflements, respirations saccadées ou autres sanglots étouffés, perdent un peu en fluidité. Mais on apprécie l’effort de réalisme. Le problème, c’est que malgré ce parti pris admirable, le charme n’opère pas. La faute à Tom Hooper, qui pour son troisième long métrage a fait un choix de réalisation pour le moins expérimental, avec des plans si resserrés qu’on peut presque voir les cordes vocales de nos chanteurs. Bien sûr, les décors sont majestueux, le maquillage expert et la photographie léchée. Mais Hooper étouffe ses acteurs, et nous avec. Il en fait trop, surchargeant ses scènes de symbolisme outrancier, avec des pirouettes de caméra et des angles si saugrenus qu’on imagine le cadreur, doué d’une agilité spidermanienne, dégobiller après chaque prise. Enfin le plus misérable, dans l’histoire, c’est quand même Russell Crowe – le pauvre –, qui chante comme s’il avait un régiment de baïonnettes plantées dans l’arriè
Wes Anderson a ses admirateurs, et on les comprend : visuellement, ‘Moonrise Kingdom’ est intelligent, ludique, avec un art du montage qui force le respect. Comme les autres films du cinéaste, en somme. Jouant habilement de son scénario-prétexte sur deux pré-ados fugueurs (un scout à lunettes et une fille à problèmes), en plein milieu des années 1960, la première moitié du film, drôle, émouvante, vise juste – humour et amour adolescents étant deux armes puissantes. D’ailleurs, il faut aussi reconnaître qu’on se marre assez avec un Edward Norton un peu benêt en gentil chef des castors juniors. Seulement voilà, passé le milieu du film, l’histoire n’avance plus vraiment et le casting tout terrain de ‘Moonrise Kingdom’ (Bill Murray, Bruce Willis, Tilda Swinton) en dilue la portée plus qu’autre chose... Aussi le film s’endort-il peu à peu tranquillement, avec parfois pour le spectateur, une sensation de vacuité qui n’est pas sans rappeler les coups de mou scénaristiques de ‘La Vie aquatique’. Bref, c’est joli, bien foutu, assez brillant sans être tape-à-l’œil, mais jamais vraiment audacieux non plus. Au fond, c’est une ronde. Pour les aficionados d’Anderson, ce conte paraîtra certainement l’un de ses plus touchants. Pour les autres, il s’avère un divertissement sympathique, virtuose parfois, mais pas franchement mémorable.
‘No’ pourrait presque se résumer en un nom : Gael Garcia Bernal. Gael ému, Gael avec son fils, Gael sur un skateboard, Gael effrayé. Une belle gueule, ça vous fait marcher un film, c’est certain. Pourtant, on ferait preuve de mauvaise foi si l’on s’arrêtait là. Car ce film historique a le mérite de poser de bonnes questions, et il est si rare de trouver une réflexion intelligente qu’il importe de la saluer quand elle existe. Tout commence en 1988, au Chili, où Pinochet règne depuis quinze ans. Comme prévu par la constitution, il se voit contraint d’organiser un référendum sur la reconduction de son mandat. Chose assez exceptionnelle, la télévision diffusera des spots de campagne en faveur du « non », d’égale durée à ceux des partisans du pouvoir en place. Gael Garcia Bernal incarne ici René Saavedra, jeune publicitaire recruté par les pro-« non » pour leur venir en aide – d’où le titre du film. Jusque-là, l’histoire se limite à l’Histoire, et aller au cinéma ou lire l’article sur Wikipédia revient à peu près au même. Le film gagne véritablement en intérêt avec sa partie fictive, qui concerne l’organisation et l’élaboration de la campagne à proprement parler. Premier défi du réalisateur : parvenir à mêler images d’archives et reconstitutions tournées en 2012 sans qu’on puisse, à aucun moment, discerner le vrai du faux. Pari gagné haut la main, on n’y voit que du feu. Pas un détail n’est laissé au hasard, ce qui rend le tout impressionnant de fluidité et de cohérence. Mais la v
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