Avez-vous déjà désiré quelque chose pendant plus de trente ans ? Les amateurs de Bach et Strauss père et fils, eux, oui. Un peu plus même. Presque quatre décennies qu'ils attendent, en rang serré derrière Pierre Boulez, une salle digne de leur art élitiste, à l'acoustique soignée et à la capacité augmentée, celle-là même qui ouvrira finalement ses portes au public le 14 janvier 2015 du côté de la Porte de Pantin, loin des quartiers où soufflent habituellement les vents du classique. Un nouvel espoir pour ceux qui espèrent, pêle-mêle, la réouverture de la Samaritaine, un Paris au cœur piéton ou tout autre projet a priori irréaliste.
Critiqué comme le fût le musée Picasso pour son coût et les interruptions du chantier, jugé trop centré sur le public au détriment des conditions de travail des techniciens du spectacle, attaqué sur la qualité de ses matériaux comparés à la flamboyante Fondation Louis Vuitton, la salle de 2 400 places ne devrait toutefois pas embrasser l'infortune du musée de la rue de Thorigny lors de son ouverture. La Philharmonie, associée à la déjà très attirante Cité de la musique, connaîtra pour sa première saison une programmation faste et foisonnante, aussi éclectique qu'a pu l'être tout au long de sa carrière son premier grand invité : l'astromusicien David Bowie. Celui-ci se voit en effet consacrer une exposition au succès déjà annoncé aux côtés, entre autres, des concerts de Tindersticks ou de la diffusion du film '2001, l'Odyssée de l'espace', dont la bande-originale sera interprétée en live. En plus de son impressionnante salle de concert, et afin de proposer une offre variée et attractive, la Philharmonie déploiera 1 100 m2 d'espace d'exposition et un pôle éducatif de 1 750 m2, à l'image de son aînée la Cité.
Désireux de s'ouvrir à de nouveaux publics et d'attirer un parterre plus large que les actuels habitués des cercles de la rue Saint-Honoré, la Philharmonie a ainsi, à travers sa programmation et son projet d'ensemble, d'ores et déjà fait un premier pas vers le grand public. Outre les noms à l'affiche, le nouvel auditorium peut également compter sur la place centrale accordée au spectateur - distance maximum entre le public le plus éloigné et le chef d'orchestre : 38 mètres - pour attirer les foules. Conçu comme un nuage en terme d'esthétique, de confort et de qualité d'écoute, attractif pour tous grâce aux nombreuses activités ludiques et pédagogiques en marge des concerts, ce nouvel écrin de la musique classique pratiquera également une politique tarifaire louable, certes encore loin des salles de concert les plus populaires (comme l'Espace B ou la Mécanique Ondulatoire) mais aux prix en baisse comparés à l'ancienne salle Pleyel, dont le sort demeure encore inconnu. Dans un contexte de hausse constante du prix de la culture, la Philharmonie compte bien réitérer l'exploit de l'Opéra Bastille, qui a su - si ce n'est démocratiser - au moins généraliser un art très bourgeois dans un quartier anciennement populaire.
Tandis que les mairies de Paris et Saint-Ouen mettent la pression sur les sites du Glazart et de Mains d'Œuvres, la Philharmonie semble toute désignée pour guider, dans un genre bien différent, une nouvelle politique culturelle dans le nord-est parisien, quitte à ce que les habitués des unes et des autres ne s'y retrouvent ni dans un sens, ni dans l'autre. Ainsi va la valse des salles de concert.