Ce 30 juillet, cinq ans jour pour jour après qu'Antonioni et Bergman aient passé l'arme à gauche, on entend que Warner envisage un préquel de 'Shining' (sic!); mais, surtout - et là on est sérieux - on apprend la triste mort de l'immense Chris Marker... Bref, de quoi vraiment faire la tête.
Du coup, plutôt que de sortir affronter ce temps moisi pour voir un 'Batman' sans grand intérêt (bon, OK, Anne Hathaway exceptée), on préfère se souvenir de Christian-François Bouche-Villeneuve (le vrai nom de Marker), véritable cinéaste inventeur de formes, au langage aussi profond que minimal.
Evidemment, tout le monde a 'La Jetée' en tête : ou comment construire une œuvre passionnante avec à peine quelques photos en noir et blanc et une voix-off. Moyen métrage incontournable, le film est devenu célèbre pour avoir inspiré à Terry Gilliam son 'Armée des 12 singes' - qui malgré ses gros moyens et son Brad Pitt à l'œil torve, paraît quand même, avec le recul, avoir bien du mal à se hisser au niveau d'inventivité du travail de Marker. Même si 'La Jetée' ne représente malgré tout qu'un versant assez marginal de son œuvre, dont l'aspect purement fictionnel - en l'occurrence, science-fictionnel - fait figure d'exception (aux côtés de 'Level Five' en 1996).
En fait, c'est davantage à partir de matériaux documentaires que Chris Marker aura passé sa vie à inventer des formes réflexives vertigineuses. D'abord en compagnie d'Alain Resnais, pour 'Les statues meurent aussi' (1953), réflexion dépouillée sur la mort, la mémoire et l'art, censurée pendant huit ans par les autorités françaises pour son anticolonialisme.
Proche sous certains aspects du cinéma-vérité ou « cinéma du réel » pratiqué à la même époque par Jean Rouch, Marker exprime néanmoins une singularité très forte à travers les textes qui constituent les voix-off de ses films, et qui tiennent autant de l'essai que du poème, de l'histoire que de la philosophie. En 1982, avec 'Sans soleil', il livre ainsi un sommet de mise en abyme songeuse, croisant l'Islande, la Guinée-Bissau, le Japon, les volcans ou les métropoles. Là encore, revient la question de la disparition, du souvenir. Et du cinéma, qui ravit les images à la mort.
Mais depuis les années 2000, c'est à travers Internet que Marker diffusait ses films, à partir d'un compte YouTube au nom de Kosinki, ou de vidéos diffusées au hasard du Net. Cinéaste secret, Marker a ainsi pris le maquis, s'est fondu dans la toile, liquéfiant son statut de cinéaste-culte dans le grand océan digital et anomique, démocratique et anonyme. Ou se retrouvant sur un site personnel étonnant - avec l'humilité de le prétendre en construction. Concernant le cinéma contemporain et ses formes possibles de création, de diffusion, de communication, il y a sans doute une grande leçon à en tirer. Et à méditer. Mais quand même, pour l'heure, on l'avoue : on est surtout triste. Et le chat rêveur aussi.