Pour parler de cinéma français, Time Out était charmé de recontrer Zabou Breitman. Non seulement parce que son coup de fil, le matin même, direct et sans intermédiaire, était réjouissant de naturel, mais, surtout, parce que sa carrière laisse amplement deviner un caractère passionné, enthousiaste et joyeusement touche-à-tout. Dans sa filmographie se croisent ainsi 'Cuisine et dépendances', 'Le Parfum de la dame en noir' de Bruno Podalydès ou 'L'Exercice de l'Etat' de Pierre Schöller. En tant que réalisatrice, son film 'Se souvenir des belles choses' était une excellente surprise, qui rafla d'ailleurs pas moins de trois César en 2001... tandis qu'au théâtre, elle adapte Roland Topor ou Raymond Depardon, et serait, sur France Inter, l'interprète-mystère de Margarete de Beaulieu dans l'émission médicale (au second degré), 'A votre écoute, coûte que coûte'. C'est au Zeyer, brasserie lustrée près d'Alésia, qu'on retrouve donc Zabou Breitman, pour évoquer avec elle sa sélection de films français.
« Evidemment, il y a beaucoup de grands classiques qui viennent immédiatement en tête », prévient-elle, « mais je voudrais aussi choisir des films plus récents. Ce serait vraiment dommage de donner une vision passéiste du cinéma français, alors qu'il se montre inventif et vigoureux, avec des films qui dépassent nos frontières comme 'La Guerre est déclarée' ou 'The Artist'. Cela dit, c'est aussi plus difficile de prendre du recul sur des œuvres récentes ». Allons aux classiques, alors ? Devant sa tasse de thé, Zabou nous répond d'un trait « 'La Belle et la bête' de Cocteau, 'La Beauté de diable' de René Clair, et 'Le Corbeau' de Clouzot. Et puis, je pense aussi à 'Lola Montès' de Max Ophüls et au film de son fils, Marcel Ophüls, 'Le Chagrin et la pitié'... J'aime bien l'idée de mettre ainsi côte à côte le père et le fils, avec deux films très différents - le second étant un documentaire - mais tous deux également géniaux... »
Impressionné par cette première salve, on attend silencieusement la suite... « Ensuite, ça se complique » : le problème, en l'occurrence, concerne Louis Malle et Jean-Pierre Melville. « Evidemment, on ne peut pas s'empêcher de réfléchir en fonction des réalisateurs. Et vraiment, pour ces deux-là, je ne sais quels films choisir... Par exemple, pour Melville, c'est un casse-tête de départager 'Le Samouraï' et 'L'Armée des ombres'... Et encore, en y repensant, il y a aussi 'Le Cercle rouge', avec le formidable personnage dramatique de Bourvil, dont c'est le dernier rôle et qu'on découvre sous un jour complètement inédit ». Nous lui faisons alors remarquer que Pierre Schöller a réservé un rôle assez comparable à Michel Blanc, avec le personnage d'éminence grise de son dernier film, le grinçant 'L'Exercice de l'Etat', où Zabou interprète la conseillère en communication d'un Olivier Gourmet ministre des transports.
« Oui, d'une certaine manière, Schöller est un réalisateur comme Melville, à la fois puissant et méticuleux, extrêmement précis. C'est un bonheur de travailler avec de tels metteurs en scène. Et si Michel Blanc s'était déjà largement distingué dans des rôles dramatiques chez Leconte ou Téchiné, son personnage dans le film est effectivement du genre de ceux que tout acteur rêverait d'avoir. La séquence où il se récite l'oraison funèbre de Jean Moulin par André Malraux est impressionnante ». Du coup, nous y voilà : la production contemporaine. Quels seraient donc les films récents qui mériteraient selon elle de figurer au palmarès du cinéma français ? « Un réalisateur qui me paraît évident, c'est Jacques Audiard. Mais là encore, quel film choisir ? Disons 'Sur mes lèvres', pour la rencontre aussi superbe qu'inattendue d'Emmanuel Devos et Vincent Cassel. Mais il ne faudrait pas oublier Klapisch, qui a un ton très personnel et un regard profond sur la jeunesse, sur le temps. D'ailleurs, 'L'Auberge espagnole' est certainement l'une des comédies françaises les plus réussies de ces dernières années, non ? »
A ce moment, Zabou s'interrompt pour remarquer qu'il n'y a pas pour l'instant dans sa sélection aucun film des années 80. Une raison à cela ? « C'est sûr, avec le temps, on se rend bien compte d'un crise du cinéma français pendant ces années-là... C'est comme si, à l'époque, il ne restait de la Nouvelle Vague qu'une cérébralité hautaine, un Sur-moi assez terrorisant, bien loin de la liberté de ses débuts, et qu'il y eut alors une régression générale du cinéma français vers des films plus consensuels, ou qui auraient perdu leurs références... Même s'il reste de très grandes comédies, à commencer par celles de la bande du Splendid. Ou, dans un autre genre, il y a des réalisateurs comme Blier ou Pialat. Mais les concernant, je crois que je citerais quand même plutôt des films des années 70, par exemple 'Nous ne vieillirons pas ensemble' de Pialat. Et 'Les Valseuses' pour Blier, évidemment... Ce film est une telle révélation d'acteurs ! Et Dewaere est resté inoubliable... D'ailleurs, vous avez déjà vu 'Beau-père' de Blier, son troisième film avec Dewaere ? »
Là, comme c'est moche et idiot de bluffer, on avoue que non. On ne connaît pas (pas encore, donc) 'Beau-père'. « Eh bien, au moins, vous ne serez pas venu pour rien : regardez ce film... Vous verrez, un film d'une telle liberté de ton, aujourd'hui, ça paraît presque inimaginable ».
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