[title]
Quand on visite Paris, on se sent souvent obligé de passer par les coins de la capitale dit « incontournables ». Tour Eiffel, Sacré-Cœur, Champs-Elysées, Montmartre et compagnie… C’est la foire aux clichés ! Et si on veut vraiment se faire du mal, on prend les bus à étage et on se fait un petit « tour » flanqué d’un accompagnateur bilingue et une horde de vacanciers usant de leur appareil photo comme d’une mitraillette.
Heureusement, il existe une alternative à ces circuits touristiques peu représentatifs du foisonnement artistique parisien. C’est Art and Town. L’histoire de trois amoureux de street art qui se sont lancé le pari de nous faire visiter la capitale autrement. Que l’on soit de passage ou habitant de Paname, que l’on parle français ou anglais, que l’on ait 7 ou 77 ans.
© T.Sevin
Tout commence en 2015 quand Rémy et Johanna, graffeurs du crew 934, ont l’idée de promouvoir l’art urbain au travers de visites originales. Avec Victor, guide de métier, ils organisent plusieurs excursions par mois, voire une par semaine pendant la belle saison. Mais toujours le samedi et avec un quartier différent à chaque promenade. Cette fois-ci, le rendez-vous est fixé à 14h30 devant la mairie, place Gambetta. Victor nous attend, sac à dos sur les épaules, bonnet sur la tête et sourire chaleureux sur le visage. Il porte un parapluie noir barré d’un « Street Art Tour » blanc dans les mains : pas de doute, nous sommes au bon endroit.
Amassés en cercle autour de lui, une dizaine de curieux ont bravé le froid d’avril. Il y a Alice et son amie, venues de Toulouse, une professeur d’histoire de l’art à la Sorbonne, une jeune touriste anglophone… Autant de profils et de générations représentés qu’il y a de courants dans le street art. C’est parti pour deux heures de balade qu’on ne verra pas passer, au cœur de Belleville et Ménilmontant. Tous en ordre de marche derrière Victor, comme des canetons dans le sillage de leur maman.
© T.Sevin
Devant un Tiny Toon signé Space Invader, dans le coin d’une impasse adjacente, Victor nous fait une petite introduction sur l’historique du street art. Il nous raconte la naissance du graff, branche plastique du mouvement hip-hop, et nous narre des anecdotes aussi inédites que rigolotes sur les artistes et les œuvres rencontrées. On croise les mangas mélancoliques de Fred le Chevalier et les napperons-pochoirs de Smot. Les hommes en blanc de Jérôme Mesnager judicieusement mêlés aux animaux sauvages de Mosko (et associés) ainsi que les seins moulés d’Intra Larue. Bref, on en prend plein les yeux, et le cerveau aussi !
Au fil des rues, Victor nous en livre plus sur les techniques et le vocabulaire du street art. Saviez-vous par exemple qu’aux prémices du genre, les numéros accolés aux noms des graffeurs correspondaient à ceux du bloc d’immeuble dont ils étaient originaires, afin de ne pas les confondre ? Ou que les lettrages bulles bicolores que l’on voit souvent orner les squats désaffectés ou les rames de métro s’appellent des « flops » ? De même, recouvrir le tag d’un artiste mort ne se fait pas dans le milieu. Cet acte de vandalisme porte d’ailleurs un nom : c’est l’action de « toyer ». Victor le sait d’autant mieux qu’il en a personnellement fait l’amère expérience, nous avoue-t-il avec humour et contrition.
© T.Sevin
Puis, Victor nous mène par des ruelles insoupçonnées et notamment le petit village insolite qu’est la Cité de l’Ermitage ou l’adorable passage Plantin. Son « petit plaisir » comme il dit. Pour un peu, on ne se croirait plus à Paris !
Ici, la face cachée du Paris des initiés se révèle à nous et on l’admire avec délice. Tels des enfants, on réapprend à lever le nez pour observer des œuvres subtiles, drôles et poétiques. A l’image de ce pansement anonyme posé sur les fissures d’un bâtiment ou ces trompe-l’œil aux fenêtres que l’on doit à Nadège Dauvergne. On devient alors plus attentif et dès qu’on remarque une œuvre, aussi petite soit-elle, on ne peut s’empêcher de la montrer du doigt avec enthousiasme. Tout nous transporte dans le monde de l’imaginaire, des insectes du céramiste Philippe Vignal aux collages en confettis du fêtard Sobre, en passant par les gigantesques fresques oniriques de Nemo et les potelets unioculaires de Cyklop rue de la Mare. Sans oublier les colonnes du « Globe Painter » Seth qui surplombent le parc de Belleville et le mur de « smiling fish » peint par Peez en contrebas. Vraiment, qui eut cru qu’un tel océan artistique coulait ainsi dans le béton de la ville ?
© T.Sevin
Afin de clore cette visite inédite sur une touche exceptionnelle, Victor nous conduit finalement dans une artère étroite – « lieu de toyage extrême » comme le définit notre guide – où l’artiste Toons est en train de graffer sur un blouson en cuir. Une performance à laquelle notre petit groupe a le privilège d’assister en live. Une fois la session terminée, Toons nous offre même un peu de son temps pour discuter au débotté, entre les bombes de peinture et les murs bariolés. Un moment unique. Pas sûr que ce type d’animations soit proposé dans les tours opérateurs ordinaires…
© T.Sevin
Ainsi, qu’importe le mauvais temps, le soleil jouant les absents ou le vent légèrement piquant, notre joyeuse troupe regagne ses pénates conquise. Alors, si vous aussi vous êtes prêt à tenter la visite – d’autant que samedi, la pluie devrait capituler, bande de veinards ! –, rendez-vous ce samedi à 13h30 au 30 avenue d’Italie. Nous, c’est sûr, on sera à nouveau de la p(art)ie.
Quoi ? • Les visites guidées Art and Town.
Où et quand ? • Samedi 7 mai à 13h30 au 30 avenue d’Italie (les autres dates, elles, sont à consulter sur le site web : https://www.facebook.com/ArtAndTown/).
Combien ? • 15€ par personne.