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Nous sommes un 25 août et c’est un véritable temps d’automne à Paris. Le crachin a remplacé la canicule, le jardin Saint-Laurent sent l’herbe coupée et fraîche. Difficile de le dénicher cet endroit. Abrité par la paroisse du même nom à deux pas de la gare de l’Est, il semble revêtir son manteau de septembre. Mais à mieux y regarder, plus on avance, plus il révèle des nuances, des couleurs chaudes et réconfortantes. Mieux qu'un jardin secret, un lieu que les sans-abris protègent de toutes leurs forces.
Ahmad vit à Paris. Il vient très régulièrement bécher la terre et maintenir le jardin en état, c'est un habitué des lieux © Time Out Paris / Hannah Benayoun
Valentine et Johan sont arrivés à la cabane avec le café brûlant et les tasses : il est 14h, et aujourd’hui, c’est un nouvel atelier qui commence. Ils sont rejoints par Juliette, qui elle aussi fait partie de cette équipe au service d’Emmaüs Solidarité. Ils appartiennent à la branche de la Maraude Paris Nord, créée en 2008, qui s’occupe des 9e, 10e, 18e et 19e arrondissements de la capitale. Tous les trois ont pour mission d’accompagner et d’orienter les personnes en situation d’exclusion extrême. Johan encadre trois jours et demi par semaine les ateliers jardinage et potager du square Saint-Laurent.
« C’est un jardin libre d’accès, tout le monde peut s'y promener, nous raconte-t-il. Néanmoins, nous avons obtenu ces parcelles pour permettre aux sans-abris de venir travailler la terre en journée. » Mais le Saint-Laurent n’est pas le seul à offrir ces ateliers. « Douze jardins y sont dédiés dans Paris, mais celui-ci connaît le plus de passage. » Depuis deux ans qu’il s’attelle à la coordination des activités du Saint-Laurent, Johan a vu passer beaucoup de monde : « Depuis 2014, j’ai pointé près de 91 participations au Saint-Laurent et environ 930 passages. » En revanche, les personnes sans domicile fixe réellement fidèles au lieu, il peut les compter sur les doigts de la main. « Cinq personnes viennent régulièrement, et il n’y a pas vraiment de femmes. » Un euphémisme.
« Le square devient un lieu de vie que l'on identifie. »
Un certain Ries nous rejoint, un homme à la carrure d’une armoire normande. Il est venu « passer le vernis avant qu’il ne pleuve ». Tout sourire, il se roule une clope, avale son café et file vers la structure du potager près de la rue, qu’il compte bien repeindre avec soin. Voici presque deux ans que Ries vient au square prêter main forte. Juliette d’Emmaüs Solidarité explique : « C’est un lieu de rencontre majeur pour les gens en difficulté : l’accompagnement social se fait bien plus en douceur, c’est moins frontal. Ici, ils trompent l’ennui et la solitude avec un lieu de vie identifié, concret. » Mathilde travaille à la communication et vient régulièrement rendre visite à Johan. Ici, les services de la mairie travaillent encore le jardin, plantent notamment les roses, chères à entretenir. Mais aucune entrave n'est faite au jardinage de ces compagnons d'Emmaüs Solidarité. « Les gens de la mairie ne disent rien, ils sont même un peu contents. » Seul bémol, la mairie refuse encore d'installer des bancs, arguant que tout le monde s'y allongerait.
Cela fait près de deux ans que Raïs vient régulièrement au Jardin, il en a fait une habitude © Time Out Paris / Hannah Benayoun
Il y a toujours quelque chose à faire, car Johan propose des travaux manuels. Il nous emmène dans la cabane où des objets confectionnés par d'anciens visiteurs n'ont jamais quitté le jardin. « Dimitar était un habitué des lieux, il faisait du macramé, des sacs... On ne sait pas ce qu'il est devenu. Ca arrive. Certains sont encore suivis par Emmaüs Solidarité, d'autres ont disparu ou n'ont pas laissé de traces. »
Johan encadre les personnes qui souhaitent participer au Jardin. Une autre manière d'accompagner celles et ceux qui en ont besoin © Time Out Paris / Hannah Benayoun
Un accroissement du nombre de bénévoles
L'activité du jardin Emmaüs Solidarité n'est pas passée inaperçue. Le voisinage s’est même bien adapté et scrute les avancées de près. Le mardi, le mercredi et le vendredi, les gens passent jeter un coup d'œil ou prennent des photos. D’autres veulent mettre la main à la pâte, convaincus de l’utilité de la chose : « Nous travaillions pour Jardin Plus, qui possédait des parcelles du square. Nous avons juste continué en tant que bénévoles », explique Fernand. Avec sa compagne Séverine, il s'est profondément attaché au lieu et aux sans-abris. Ils y plantent des tournesols jaunes vifs « qui ont souffert de la pluie, hélas ». Pendant que nous parcourons le jardin, une femme interpelle Johan. C'est l'une des nombreuses personnes qui travaillent près de la gare de l'Est. Elle passe dans le jardin chaque jour, et l'envie de participer à la construction du lieu est devenue forte. « J'aime le travail de la terre, et le travail en communauté. Je cultivais des tomates et toutes sortes de choses, c'est important de produire quelque chose. Je suis contente car je commence demain. »
Le square Saint-Laurent : tout a été conçu, réalisé, peint et planté par les sans-abris et les bénévoles © Time Out Paris / Hannah Benayoun