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Si vous venez à passer par Montmartre, et plus particulièrement à crapahuter rue Piémontési, ouvrez l’œil car Cyklop vous observe. Ou plutôt ses œuvres. Originales, graphiques et colorées, prenant pour support les potelets urbains, elles sont immanquables. De leur prunelle unique, elles toisent les passants qui, à y regarder de plus près, voient en elles une célébration de peintres de renom. Picasso et ses traits cubiques, Toulouse Lautrec et son écharpe rouge, Van Gogh et son style hachuré ou Gauguin et ses Tahitiennes… On s’amuse à reconnaître les artistes ainsi représentés par le biais de signes distinctifs ou de tableaux emblématiques. Car, comme nous le confie Cyklop, ancrer cette série de potelets borgnes dans l’univers pictural des grands maîtres est un thème qui s’est imposé à lui telle une évidence.
« J’essaie toujours de m’adapter au lieu que j’investis », explique l’artiste, qui a également paré la rue Goscinny (13e) de personnages de bande dessiné (le Marsupilami, Homer Simpson et Batman en tête). Pour Montmartre, repaire de peintres depuis plusieurs siècles, le sujet était donc tout trouvé. Mais pourquoi avoir, cette fois-ci, décidé de poser ses pochoirs dans les ruelles de la Butte ? « En vérité, c’est plutôt Montmartre qui m’a choisi », plaisante Cyklop. Ce que confirme Jacqueline Guénin, membre du conseil de quartier. « Nous avons fait appel à Cyklop pour embellir la rue en l’habillant de façon inattendue. » Une idée originale visant à « en faire autre chose qu’un lieu de passage ». Mais qui permet aussi de « faire sortir l’art des galeries pour le démocratiser », ajoute l’artiste.
© C.Gaillard
Il faut dire que ce dernier attache beaucoup d’importance à susciter l’intérêt du public néophyte pour l’art. Voire à le faire participer à ses créations un brin cartoonesques. Pour preuve : Cyklop anime de nombreux ateliers avec les enfants qui ont selon lui « une fraîcheur et une imagination uniques ». Contrairement aux adultes parfois trop sérieux, eux perçoivent toujours le monde avec un regard naïf. Un peu comme Cyklop, lorsqu’en 2007 il se laisse par hasard inspirer par cet élément insignifiant du mobilier urbain qu’est le potelet. « Cette boule blanche m’a fait penser à un globe oculaire », raconte-t-il. Depuis, l’œil du cyclope est son emblème car plein de contrastes et de symboliques, à la fois grigri protecteur en Turquie ou mauvais œil dans d’autres cultures. Une ambiguïté également incarnée par le cyclope lui-même, monstre mythologique mais qui, ici, avec ses teintes chamarrées, n’a plus rien d’effrayant.
Les potelets de la rue Piémontési, quant à eux, demeureront là aussi longtemps que possible. Dix ans ou plus, qui sait ? Quelques-uns seront sûrement volés – c’est déjà arrivé –, d’autres tordus ou accidentés par une voiture ayant mal fait son créneau. La plupart s’écailleront avec l’usure du temps et Cyklop leur remettra un petit coup de peinture à l’occasion. Mais tout cela n’est pas bien grave. Pour Cyklop, « l’art est vivant, il est dont normal que ces potelets vivent. » Nous, on garde un œil sur les prochains projets de Cyklop car son œuvre nous a tapé dans l’œil !