On ne sait pas si l'actualité de Michel Houellebecq en cette rentrée 2014 est une résurrection ou un jubilé ; toujours est-il qu'elle ressemble à une furieuse célébration tous supports de sa dégaine de clochard céleste, de sa maigre carcasse traînant sous une parka militaire, le dos voûté comme le 'Nosferatu' de Murnau, et de son improbable gueule cassée qui évoque pêle-mêle Céline, Popeye ou Artaud - mais qui pourrait sans doute aussi bien sortir du 'Seigneur des anneaux'.
Car comme Gainsbourg devint Gainsbarre, Houellebecq nous apparaît métamorphosé en Houellebarre (« où est le bar ?! »), sorte de dandy excessif, mêlant cynisme et douceur, ou de Buster Keaton schopenhauerien au génie soulographe, jouant de la plasticité de sa face hagarde avec une désarmante et implacable vivacité d'esprit. Voire, le corps, le visage de Houellebecq semblent désormais les nouveaux outils tragi-comiques de sa poésie titubante. Plus besoin d'écrire. Etre au monde suffit. Ainsi, dans 'Near Death Experience' (en salles le 10 septembre), un plan d'une beauté sidérante et toute grolandaise montre la tignasse, longue et clairsemée, en vrac, de l'auteur de 'Plateforme', à la manière d'épis de blé baignés de vent, sous le soleil couchant d'un crépuscule. "Le Dormeur du val" selon Delépine et Kervern. Ça a l'air tout con dit comme ça. Mais c'est incroyablement émouvant.
Par ailleurs, dans un rôle plus bavard, l'écrivain joue son propre personnage dans 'L'Enlèvement de Michel Houellebecq' de Guillaume Nicloux, où il se crée un double délicieusement burlesque, séquestré par trois guignols bienveillants. Baudelairien convaincu, Houellebecq cultive ainsi désormais son personnage comme le cœur véritable de son œuvre : non seulement littéraire, mais culturelle, ou artistico-médiatique au sens large. A son niveau, le je-m'en-foutisme confine même à un degré d'authenticité aussi impressionnant qu'inédit, et follement émouvant dans sa déglingue. Rien à branler du délabrement physique ; Houellebecq semble improviser sa vie en funambule tout terrain, allant jusqu'au bout de son personnage à la bizarrerie savoureuse. Et à l'œuvre désormais libérée, mise à disposition, ouverte. Ses poèmes se retrouvent ainsi chantés par Jean-Louis Aubert, dont Houellebecq (lui-même récitant d'un disque, unique et fort bien fichu, sorti chez Tricatel en 1999) vampirise le clip en un délirant playback.
Acteur de deux films, parolier d'un album... Comme si cela ne suffisait pas, le poète de 'Configuration du dernier rivage' - son dernier recueil en date, paru l'année dernière chez Flammarion - se voit également adapté au théâtre, dans le cadre du Festival d'Automne, avec 'Les Particules élémentaires' (mise en scène de Julien Gosselin), et présentera parallèlement son travail de photographe, à l'occasion d'une double exposition à la Mairie du 20e à partir du 12 novembre. En attendant, peut-être, le développement d'un hypothétique programme politique et de sa « nouvelle Constitution », ébauchée au printemps dernier dans le magazine Lui. Bref, en cette rentrée 2014, Houellebecq est partout. Et il y a l'air bien comme tout. Extension du domaine de l'hirsute.