Pour la première fois une exposition monographique honore l’abondant travail de celle qui fut non seulement la portraitiste de Marie-Antoinette, mais surtout la peintre la plus sollicitée de son temps. Charmeuse et sociable, Elisabeth Louise Vigée Le Brun fit de son talent (reconnu par l’Académie des Beaux-Arts) une véritable arme mondaine qui lui ouvrit les portes des plus grandes cours d’Europe dont les têtes les plus nobles, en lui commandant leur portrait, lui assurèrent un train de vie fastueux.
Varié, dense et raffiné, son art du portrait se déploie du visage de sa fille en baigneuse, à la couronne de la Reine en passant par la douceur des traits de La Paix remerciant l’Abondance ou le sourire de Varvara Ivanovna Ladomirsky. L’exposition révèle l’ambition de l’artiste et retrace son opiniâtre cheminement.
On traverse un premier étage où la galerie de visages, palpitante de vie, nous approche au plus près de l’histoire, dans un rapport simple et presque amical. C’est toute une société que l’on rencontre intimement. Lady Hamilton danse en bacchante devant le Vésuve, la Comtesse du Barry porte un ordinaire chapeau de paille, les cheveux détachés de la Comtesse de Ségur ainsi que le touchant bouquet de fleurs cueillies par elle-même la rendent proche et familière. L’artiste retranscrit simplement un monde mondain et solennel dont elle fut partie prenante. Cette proximité est l’essence même de ses compositions, permettant au modèle d'être sincère et par là de le connaître et le peindre. Jamais figés ou systématiques, les portraits possèdent tous une certaine particularité qui est celle du visage dont ils témoignent : un doux air mélancolique, une bouche entrouverte, un port de nuque légèrement oblique, un rire retenu, un plaisir dans le regard… Même les officiels n’ont pas la raideur de leur statut. Avenants, ils sont animés comme l'étaient leurs modèles.
Puis vint la révolution. L’œuvre de Vigée Le Brun devient alors ambivalente, entre témoin de l’histoire glorieuse et tumultueuse de la fin du XVIIIe siècle, et perpétuation d’une certaine élégance à la française qui, de précieuse, devient désuète après 1789. Au fur et à mesure ses tableaux ne sont plus que le défilé de courtisans dans un monde où le roi est mort. Les têtes sont tombées mais continuent de vouloir poser, d’être représentées. Le deuxième étage du Grand Palais retrace l’exil de l’artiste à travers l’Europe, comme une errance, à la recherche d’un véritable temps perdu. Les commandes sont toujours nombreuses mais les visages portent désormais la marque de la fin du siècle lumineux.
Comme en témoignent les nombreux autoportraits faits à différents âges de sa vie la représentant le pinceau à la main ou entourée de ses élèves, c’est une artiste accomplie, à la forte présence artistique et sociale que l’on redécouvre au Grand Palais. Une lumière subtile, des couleurs contrastées et pleines, le rendu complexe d’une carnation délicate, le détail des matières ainsi que le travail brossé de l’arrière-plan apprivoisent habilement le rapport frontal qu’engendre l’art du portrait, tout en gardant son caractère mystérieusement dérangeant. La déambulation au cœur de ces visages, aux regards soutenus et malicieux, nous fait basculer dans un autre monde, fantomatique mais présent. Là réside la force de l’exposition : nous plonger dans l’élégance de la représentation d’un temps brillant mais éteint, dans la sensualité de l’œil et du plaisir d’observer. Entre peinture historique, témoin vivant de son temps et plaisir esthétique reconnu et exploité, l’œuvre de Vigée Le Brun nous fait osciller sans cesse entre fascination, pure contemplation et léger trouble, pour notre plus grand ravissement !