Critique

Picasso.mania

3 sur 5 étoiles
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Time Out dit

C’est avec un certain sens de la symétrie que le Grand Palais organise ses expositions. Après ‘Picasso et les maîtres’ en 2008, nous avons ainsi désormais affaire à « Picasso et ses disciples ». Et des disciples, inutile de vous dire que Picasso en a un paquet…

Retraçant le parcours du peintre-star en l’illustrant d’œuvres de ses rejetons spirituels (principalement des hommes, d’ailleurs ; nécessité pour eux d’essayer de tuer le père ?), 'Picasso.mania' abonde en toiles d’artistes comme David Hockney, Jasper Johns, Georg Baselitz, Andy Warhol… – et, bien sûr, de Pablo Picasso. Or, ce qui aurait pu constituer une rencontre plus ou moins consensuelle tourne vite, et assez inévitablement, au face-à-face. A l’affrontement. Et ce qui paraît alors dommage, c’est que Picasso les écrase, indéniablement, à peu près tous. Un à un.

Ce tournoi organisé au Grand Palais semblait pourtant a priori offrir au maître espagnol quelques séduisants adversaires. En premier lieu desquels les artistes pop : Roy Lichtenstein en particulier, avec sa 'Femme au chapeau fleuri', a le bonheur d’accoucher d’une synthèse à la fois évidente et drôlatique des portraits cubistes de Picasso et de sa propre technique de points de trame. De même, le gigantisme de l’installation d’Adel Abdessemed, 'Qui a peur du grand méchant loup ?', réussit à évoquer une horreur comparable à celle du célébrissime ‘Gernica’ (absent de l’exposition), dont elle reprend les dimensions en remplissant le gigantesque espace de la toile par des cadavres d’animaux empaillés, de renards, lièvres, daims, chèvres ou lapins, immobilisés gueules ouvertes ou tordus de douleur.

En revanche, une bonne partie des œuvres se bornent à reprendre (parfois paresseusement) la mise en scène des ‘Demoiselles d’Avignon’, ou semblent se satisfaire d’un nez de travers pour évoquer Picasso. Celles-ci, évidemment, ont un certain mal à convaincre. D’autant que le Grand Palais n’hésite pas à multiplier les propositions les plus hétérogènes, parmi lesquelles on retiendra surtout celles, récentes, de Francesco Vezzoli (‘Olga Forever’, 2012) et Thomas Houseago (une monumentale sculpture lo-fi baptisée ‘Baby’). Mais enfin, l’essentiel de 'Picasso.mania' reste quand même l’indéboulonnable Pablo. Sur lequel il convient donc de revenir – bien que tout ait probablement déjà été écrit à son sujet depuis belle lurette.

Pourquoi Picasso gagne-t-il systématiquement ? Où est sa botte secrète ? A cette question, l’exposition apporte une réponse. Certes, implicite. Mais ce qui crève finalement les yeux, c’est que cette puissance de l’art de Picasso tient avant tout à sa personnalité, à son humour, sa joie de vivre, son érotisme, son sens de l’excès. A sa spontanéité, aussi. Quelques instants passés ici devant ses portraits de femmes suffisent d'ailleurs à faire éclater la force séductrice et virile de son œuvre. Au bout du compte, le dialogue le plus fécond de ‘Picasso.mania’ semble se tenir dans l’une de ses dernières salles, présentant la série de dessins pornographiques ‘Raphaël et la Fornarina’. Et il a lieu entre Picasso et, non pas l'un de ses successeurs mais son prédécesseur du XVIe siècle, le peintre Raphaël.

Cet échange, donc, c’est sur l’érotisme qu’il se fonde. Sur le dessin, la peinture comme formes de dynamiques sensuelles. Déjà, Picasso et Raphaël se ressemblent. Question de tempérament. L’un comme l’autre furent très tôt célébrés comme des génies précoces. Et de grands amateurs de femmes. Mort à 37 ans d’un « excès de plaisirs charnels » (remarquable façon de tirer sa révérence, n'est-ce pas ?), Raphaël connut au moins une grande amante mythique – comme Picasso eut ses muses, Dora Maar ou Françoise Gilot – surnommée la Fornarina et qu’il représenta d'ailleurs, voluptueuse, peu de temps avant sa mort.

Fille de boulanger (d’où son surnom), Margherita Luti est restée la plus célèbre des passions amoureuses du héros de la Renaissance. Mais Picasso n’est pas le premier à prendre le peintre et son langoureux modèle comme sujets d’une série. En 1813-1814, Ingres eut en effet l’idée d’un ensemble de cinq tableaux – n’en réalisant finalement que deux – sur ce même thème. Chez Ingres, le peintre et son modèle restent très chastes, pensifs. Alors qu’avec Picasso, Raphaël apparaît comme un ogre joyeux, au chibre comme un totem, gamahuchant la jeune boulangère tout en la peignant, parfois à même le corps. Avec entrain, gourmandise, voracité presque. Et comme par jeu et pour un clin d’œil historique, Picasso ajoute à la scène un troisième larron : le Pape (tout simplement), métamorphosé en voyeur passablement scato.

Ce mélange de proximité et de distance avec son inspirateur (« Enfant, je dessinais comme Raphaël », prétendait Picasso), représenté comme un double de lui-même ivre de sensualité et de créativité mêlées, ce rapport jouissif à un maître du passé, mêlant camaraderie, complicité et humour, paraît au fond assez exceptionnel. Et bien rares semblent ici les Picasso-maniaques capables d’entretenir un lien aussi riche, créatif et enthousiasmant avec le peintre de Malaga, dont l’influence reste majoritairement écrasante. Un vrai rouleau-compresseur.

Le lundi, jeudi et dimanche de 10h à 20h ; le mercredi, vendredi et samedi de 10h à 22h.

Infos

Site Web de l'événement
www.grandpalais.fr/
Adresse
Prix
13 €
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