L'art d'Adel Abdessemed est explosif. En un coup d'œil, il suscite des sentiments puissants, renvoyant le spectateur à des images que la télévision ou les journaux ont imprimées sur notre rétine. Les voitures calcinées (les émeutes de banlieue de 2005), les carlingues d'avion triturées (le 11 Septembre), la barque défraîchie pleine de sacs poubelle noirs (le périple des immigrés clandestins), les cercles de fil barbelé (Guantanamo ? Israël-Palestine ?) frappent par l'évidence brute de leur propos pessimiste, provocant et politique, relevé par une ironie souvent dissimulée dans les titres. De la conception au choix des matières, de la mise en scène à ce noir et blanc cru qui semble écraser toutes les couleurs, tout n'est qu'énergie, colère, violence. Pourtant, ce n'est là que l'épiderme d'une œuvre dont l'exposition du Centre Pompidou tâche de dévoiler des aspects plus souterrains, tapis derrière le premier choc.
Hormis deux pièces gigantesques (le Zidane de six mètres de haut en pleine collision avec Materazzi sur le parvis, et les deux avions entrelacés dans le hall), la scénographie se divise en deux espaces. L'un est lumineux, dépouillé, ouvert sur la ville ; l'autre plus chargé, plus intime, presque oppressant. Un porcelet qui tète une femme, des reptiles qui s'entretuent, un joueur de flûte qui nous charme comme des serpents : Abdessemed se sert de la figure animale pour incarner un monde aux allures d'enfer. La sauvagerie et la civilisation, l'amour et la violence s'enchâssent dans la cacophonie des vidéos programmées en boucle. L'univers du rêve contamine les images, inquiétantes ou saugrenues. Sur le mur du fond, c'est l'enfance qui affleure dans un charnier d'animaux carbonisés, pétrifiant ('Qui a peur du grand méchant loup ?').
Dans un système de répétition et d'entrelacs qui doit beaucoup à l'art ornemental, chaque œuvre révèle ainsi un double-fond politique, autobiographique, onirique ou même parodique. Adel Abdessemed s'inscrit moins dans le spectacle que dans l’histoire de l’art, empruntant d’ailleurs certains tics de grands maîtres pour les conjuguer au langage d’aujourd’hui. Les références abondent, plus ou moins explicites : une vidéo rejoue le 'Pelele' de Goya, le charnier d'animaux reprend les exactes dimensions du 'Guernica' de Picasso, les cercles de barbelé évoquent le minimalisme de Sol LeWitt. Adel Abdessemed a même inclus dans l'exposition 'Les Enfers', une toile de Monsù Désiderio (1622), tant elle fait écho à son propre travail. Quant aux sublimes Christ crucifiés en fil barbelé, comme contaminés par leur couronne d'épines, ils s'inspirent du retable d'Issenheim de Grünewald. Quatre corps étincelants de douleur, soigneusement alignés, résumé troublant d'une œuvre ambivalente, où la noirceur le dispute à la beauté.
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