Deux communautés à l'écart de notre monde. D'un côté, les religieuses du couvent des Sœurs de la Charité, à Paris ; de l'autre un campement tsigane sur un terrain vague d'Ivry, surplombé par le RER. D'un côté le silence et le recueillement, loin de l'agitation séculière ; de l'autre le vacarme des métros ou des abords d'autoroutes. Qu'elle répertorie les objets dont disposent les nonnes ou pousse son souci d'exhaustivité jusqu'à enregistrer le son de l’ensemble des lignes de métro de cinq capitales européennes, diagrammes à l'appui, Bertille Bak se fonde toujours sur un inventaire précis des marges qu'elle explore. Ce réalisme méthodique, quasi scientifique, lui sert alors de support pour laisser libre cours à son imagination – à l'image de ses courts métrages qui greffent sur un fond documentaire la légèreté et la distance de la fiction.
Dans le monastère, plus les sœurs vieillissent, plus elles s'installent dans les étages supérieurs du bâtiment de la rue du Bac, jusqu'à atteindre le quatrième où, incapables de participer activement à la vie de la communauté, elles attendent le passage au dernier niveau – la mort. Vu par Bertille Bak, cela donne un film soucieux de préserver la mémoire de ces religieuses, mais également perturbé par des saynètes loufoques, dans lequel l'humour devient un vecteur poétique, mais aussi la trace d'une réflexion constante sur la froideur implacable de notre société. Mieux, la fiction devient alors un moyen de penser le problème autrement, voire de proposer des solutions irréelles, fantaisistes ou impertinentes, mais toujours subtiles, nanties d'une ironie brillante.
Ainsi les thèmes qui traversent son œuvre (la mémoire, l'exil, l'exclusion, l'altérité…) sont habités par une conscience politique et sociale pleine de finesse, aux antipodes de l'engagement tape-à-l'œil dans lequel sombre parfois l'art contemporain. Plutôt que faire le simple constat, évident, du rejet social dont sont victimes les Tsiganes, la jeune plasticienne a choisi d'aller là où on les croise tous les jours : dans le métro, lorsqu'ils jouent des morceaux pour les passagers. En quête des bribes de musique étouffées par le boucan des transports en commun, elle cartographie ces « notes englouties », métaphore d'une communauté qui fait partie de notre décor quotidien, sans que l'on prenne pour autant le temps de la considérer. Il en va de même pour les locataires du camp d'Ivry : le son de leur voix est annihilé par le raffut des voitures, trains et autres avions. La ville les condamne au silence. Dans ce cas, camoufler des caravanes pour ne pas qu'elles se fassent repérer par un train aux allures de serpent métallique et inquisiteur apparaît, avec une grâce enfantine, comme le symbole de la constante menace qui pèse sur ces populations toujours sur le point d'être expulsées. Bref, chez Bertille Bak, l'art n'est pas seulement un témoin ou un observateur : il devient acteur, et prend les traits de l'autre, pour mieux nous renvoyer notre regard.
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