Critique

Diane Arbus

5 sur 5 étoiles
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Time Out dit

Pourquoi les photographies de Diane Arbus (1923-1971) dégagent-elles quelque chose d'aussi électrique ? Comment le regard et le procédé de l'Américaine ont-ils révolutionné la photo de l'après-guerre ? Pourquoi, comment : des questions auxquelles cette exposition choisit de ne pas répondre. Enfin, pas explicitement. Hormis un épilogue biographique en fin de parcours, le Jeu de Paume prend le parti de laisser parler les images de la photographe, célèbre pour avoir dressé un portrait cru de l’Amérique des marginaux et des freaks. Disséminant d’infinies pistes de lecture, seuls les titres, les dates et les lieux des prises de vue nous accompagnent tout au long d’un voyage stupéfiant au cœur des années 1950 et 1960, riche de plus de deux cents tirages.

En plus de libérer Diane Arbus du mythe de la photographe suicidée et hollywoodisée (en 2005, Nicole Kidman l’incarne dans ‘Fur’ de Steven Shainberg), cette approche reflète brillamment la démarche insidieuse de la photographe. Perfide, même : car Diane Arbus a le don d’induire le regard en erreur, de jeter le trouble sur notre perception de la réalité. S’appliquant à brouiller les frontières qui séparent l’apparence de l’identité, elle ne dévoile l’évident que pour mieux masquer l’implicite. Et laisse toujours planer le doute. Comme lorsqu’elle photographie des séquences de films ou des affiches, créant des mises en abyme du « vrai » : un poster du Christ attend un ascenseur dans le hall d’un immeuble, un ciel ensoleillé projeté sur un écran de cinéma vient transpercer la nuit noire d'un drive-in...

Elle qui s’immisce par on ne sait trop quel moyen dans la chambre d’hôtel de « l’homme à l’envers », dans les loges moites d’une troupe de transformistes, dans les jardins d’un hôpital psychiatrique ou au chevet de l'illustre féministe Susan Sontag, s’approche au plus près de ses sujets pour mieux capturer leur unicité. Dénigrant toute convention sociale, ignorant royalement toute hiérarchisation de la réalité, défiant les préjugés, la New-Yorkaise photographie le sex-symbol Mae West de la même manière qu’une ménagère portoricaine, sensuelle et coquette, figée sur son lit dans une pose de starlette parfaitement maîtrisée.

Ici, l'Amérique des concours de beauté ratés, des nains, des noirs, des nudistes ou des phénomènes de foire est aussi celle des gens « ordinaires » et des vedettes, imparfaite et pleine de contradictions. Les histoires que l'artiste raconte à demi-mots se recoupent pour mieux nous déboussoler, à mesure que l'exposition souligne ce besoin presque viscéral chez Diane Arbus de sonder les mêmes sujets, encore et encore, avec la même insistance. Ce même regard à la fois neutre et inquisiteur avec lequel elle décrypte son époque, documentant l’existence éphémère des êtres et des lieux qui l’entourent.

Où est la norme, où est le vrai ? Pourquoi, comment ? On ne sait plus. On ne veut plus savoir. On s’en fout. Arbus nous a hypnotisés devant cette réalité qui, toujours, se déguise : d’abord derrière la mise en scène, puis derrière la photographie. Tout n’est plus que cérémonie, et « ce qui est cérémoniel et curieux et banal, écrit-elle, deviendra légendaire ». Plus légendaire encore que cette artiste dont le Jeu de Paume nous détache pour mieux nous rapprocher de son œuvre. Et de sa vision d’un monde-mascarade, où tout est à la fois merveilleux et vicié.

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8,50 €
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