Critique

Eva Besnyö

4 sur 5 étoiles
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Time Out dit

Après Lee Miller, Diane Arbus et Berenice Abbott, le Jeu de Paume consacre une magnifique exposition à une autre grande photographe du XXe siècle, moins connue : Eva Besnyö (1910-2003). Encore ? Oui, encore une femme artiste, encore des paysages urbains des années 1930, encore du noir et blanc au doux parfum d'avant-garde. Encore – sauf que lorsque l'on se trouve face à l'œuvre d'Eva Besnyö, on a comme une impression de voir de la photo pour la première fois, tant son talent, magnétique, perfore les codes du huitième art.

Photographe hongroise ballottée par l'Histoire entre l'Allemagne, les Pays-Bas et sa terre natale, elle écume dès les années 1920 les banlieues de Budapest, saisit les ouvriers berlinois sur les chantiers de l'Alexanderplatz en 1931, met à nu la Rotterdam bombardée de 1940, hantée de lignes dures et d'ombres incisives. Visionnaire, elle fige les silhouettes fantomatiques d'Amsterdam dans des contre-jours foudroyants, aux faux airs d'ombres chinoises. Obstinée, elle scrute l'exposition des Sciences et Techniques de 1937, à Paris, à travers les jets de ses fontaines et les sillons de ses barrières, qu'elle invite sans cesse au premier plan. Subversive, elle saisit le visage interdit des femmes tsiganes qu'elle croise au plus profond de la Hongrie totalitaire de 1938. Partout, son objectif semble plonger vers le détail, toujours à l'affût de diagonales pour en faire les colonnes vertébrales de ses images. Des clichés pénétrants qui trouvent dans les stries de trottoirs, de toits, d'échelles, de violons, de moulins ou de portes entrouvertes le moyen de se mettre en mouvement. Et de propulser le regard vers des ailleurs incertains.

Si ses portraits de la peintre Charley Toorop ou du cinéaste Joris Ivens exhalent une fougue rare, c'est dans le paysage urbain et la photographie d'architecture qu'elle excelle, ses cadrages capricieux se plaisant à bouder les lois de la gravité, ses compositions cherchant à découper les rondeurs du réel à coups de géométrie. Sa vision franche, absolue, pose le doigt sur l'inattendu, tout en constatant, silencieusement, les réalités sociales. Si l'exposition met l'accent sur la création des premières heures – celle, révolutionnaire, des années 1920 et 1930 – le parcours nous emmène jusqu'aux manifestations féministes des années 1970, au coeur du mouvement néerlandais des Dolle Mina (« Mina la folle ») dont Eva Besnyö se fait à la fois le reporter et l'une des membres actives. La boucle est bouclée pour cette artiste qui – du moins c'est ce que l'on ressent tout au long de cette rétrospective – aura trouvé au fond du viseur de son Rolleiflex son moyen d'expression privilégié, la clé de son émancipation personnelle, l’objet de son plaisir. Bref, la source de ce qu'on aurait tendance à appeler, communément, le bonheur.

Infos

Site Web de l'événement
www.jeudepaume.org
Adresse
Prix
Du mercredi au dimanche de 11h à 19h, le mardi de 11h à 21h / De 5,50 à 8,50 €
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