Machines, voitures, usines, architectures métalliques, mannequins de vitrine, street photography, nus olé olé, collages surréalistes… Germaine Krull avait tout d’une photographe d’avant-garde. Le toupet. Le carnet d’adresses (Cocteau, les Delaunay, Malraux, Colette…). Le goût de l’expérimentation, de la liberté, de l’anticonformisme. Les passions obsessionnelles (l’automobile, les mains). La fascination pour Paris. Les pérégrinations incessantes, de son Allemagne natale aux Pays-Bas, de Moscou à Londres, de la France aux Etats-Unis, de l’Algérie au Tibet. Et puis, la verve révolutionnaire – toutes proportions gardées.
Mais ce qui ressort de cette exposition très documentée du Jeu de Paume, c’est que Fräulein Krull a beau être liée corps et âme aux mouvements d’avant-garde, elle n’en reste pas moins reporter, avant et par-dessus tout. C’est là sa force, sa plus grande contribution à l’histoire de la photographie. Toujours prête à sacrifier l'esthétisme et le calcul au profit de l’immédiateté, l’Allemande cherche inlassablement à documenter, à montrer, à illustrer ; à diffuser sa vision et voir ses photos se reproduire par milliers dans les pages de bouquins, de journaux, de magazines. De ses premiers clichés parisiens à ses reportages de guerre pour la France Libre, l’ensemble de son travail respire la niaque d’une photographe radicale. Elle, la gauchiste invétérée, engagée très tôt dans le mouvement spartakiste au point d’être bannie de Munich et de se retrouver derrière les barreaux de la Loubianka à Moscou, en 1922, dont elle ressort désillusionnée par le bolchévisme. Mais toujours armée d’une conscience sociale à toute épreuve.
Après avoir fréquenté les milieux expressionnistes et dadaïstes en Allemagne, c’est en 1926 que Krull épouse définitivement la chambre noire, lorsqu’elle s’installe à Paris. Avançant dans les pas d’Eugène Atget, puisant ses formes et ses angles de vue dans le sillage de Rodtchenko, de Lewis Hine, de Berenice Abbott, elle s’immisce dans les bas-fonds de la capitale pour immortaliser les clodos, les « manouches de Bagnolet », les nuits enfumées, les Parisiennes. Beaucoup de Parisiennes : gitanes, danseuses, écrivains, ouvrières, lesbiennes. Mais son modèle de prédilection demeurera toujours la Ville Lumière, dont elle fait son gagne-pain. En 1929, elle publie cent photos de Paris dans un ouvrage berlinois (‘100 x Paris’), révélant une mégalopole loin des clichés ; au fil des années, quelque 600 reproductions de ses photos (de Paris pour la plupart) paraîtront dans le magazine VU, témoignant, toujours, d’une approche spontanée, au parfum brut. Elle qui estime que le « vrai photographe » ne peut être que le « témoin de tous les jours » traduit parfaitement le photoreportage au langage des avant-gardes, conférant à ses images une liberté aux faux airs amateurs, voire une folie douce. A double tranchant. Car si cet esprit fantasque et débridé fait sa renommée pendant l’entre-deux-guerres, il contribuera, sans doute aussi, à « démoder » son œuvre à la fin des années 1930.
En effet, on les compte sur les doigts d'une main – allez, de deux mains –, les rétrospectives qui ont été consacrées, à ce jour, à Germaine Krull ; pourtant l’une des femmes-photographes les plus influentes et respectées de son époque. La faute, sans doute, à une carrière assez courte et un brin dispersée, alliée à un manque criant d'archivage et à la bipolarité chronique de sa photo, ni vraiment expérimentale, ni tout à fait journalistique. On salue donc le travail du Jeu de Paume qui, avec cette rétrospective, est parvenu à réunir 150 clichés, inédits pour certains, pour recomposer le portrait fuyant de cet esprit libre du reportage, qui œuvra pour la propagation du livre de photographie. Et reçut, en 1930, ces mots de Cocteau : « Il existe peu d’artistes nés sous le signe de la chambre noire, sous l’arc-en-ciel de la lentille, sous l’étoile de l’objectif. Vous êtes de cette petite troupe dont Man Ray ouvrait jadis la marche. » Voilà qui Krull de source.
Le mardi de 11h à 21h et du mercredi au dimanche de 11h à 19h.
Time Out dit
Infos
Discover Time Out original video