Même lorsqu'il regarde des dessins animés, Thomas Olbricht n’est pas le genre de garçon qui respire la joie de vivre. Aux Bisounours, il préfèrera les sept péchés capitaux de Pieter Brueghel (1559) revus par Antoine Roegiers dans une vidéo orgiaque, grouillant de créatures grotesques, d’érotisme et de beuveries (2011). Vanités, monstruosités, détournements : endocrinologue le jour, richissime collectionneur d’art la nuit, Olbricht s'entoure, depuis plus de vingt-cinq ans, de chefs-d’œuvre étranges, souvent macabres. La Maison Rouge l’invite aujourd’hui à dévoiler une partie de son arsenal troublant, bâti avec une cohérence obsessionnelle, où cohabitent art contemporain, Renaissance nordique, taxidermie, cabinets de curiosités et arts décoratifs.
Cohabitent ? C’eût été trop sage : disons plutôt qu’ici, différentes périodes de l’histoire de l’art se jettent des clins d’œil fourbes, se chamaillent et se plagient sans scrupules, allant jusqu’à usurper l'identité de l'autre. La faute à une branche de l’art contemporain, très anglo-saxonne, que l'Allemand affectionne tout particulièrement, et qui cherche à détourner les symboles, les formes et les matières des maîtres du passé pour mieux réinscrire l'art contemporain dans l'histoire de l'art, dont on le coupe trop souvent. Avec, ici, la complicité d’une scénographie espiègle et enchevêtrée, qui se plaît à nous induire en erreur.
Un désert étoilé peint il y a plus de quatre cents ans par un moine illuminé au fin fond de la Toscane ? Raté : c’est un paysage signé Laurent Grasso qui s’amuse avec les méthodes et le style d’antan, réutilisant résine, huile bouillie, pigments, panneau de chêne. Ailleurs, les têtes de mort vert fluo de Ryan McGuiness dévisagent, d’un mur à l’autre, les faucheuses d’Albrecht Dürer, tandis qu’un Christ tatoué comme un motard gît dans les bras de la Madone. Et ainsi de suite : Cindy Sherman, Vik Muniz, Ron Mueck, Berlinde de Bruyckere se joignent à ces immersions iconoclastes dans le passé, relevées, bien souvent, d’une pincée d’ironie et d’une pointe d’humour. Un humour noir et un attachement à l’Histoire que le collectionneur partage notamment avec les espiègles frères Chapman, obsédés par 'Les Caprices' de Goya, la mort et les vices d’une société de consommation avide de trash.
A force, l’intimité, la noirceur et le merveilleux, ainsi mêlés à la finesse artistique, exhalent une saveur étrange. L'exposition donne l’impression d’observer notre époque depuis un passé lointain, ou bien de la contempler d’un point de vue futur, figée dans le souvenir craquelé de la peinture à l’huile. Sans trop savoir si l’on vient d’assister à du vandalisme ou à une réhabilitation, sans trop comprendre si la collection d'Olbricht est rongée par le mal-être d'un homme ou tout simplement marquée par une forme de passéisme, on met joyeusement notre nez dans cette fange auréolée de mysticisme. En se demandant si, au fond, « le docteur O » ne serait pas finalement trop lucide, ou trop avant-gardiste, pour les temps présents.