Le kitsch ne tue pas. Aux yeux de Youssef Nabil (né en 1972 au Caire), l’eau de rose fonctionnerait même comme une sorte de vernis magique servant à embaumer le temps. Un enduit étincelant permettant de rendre la vie aux stars d’autrefois, d’immortaliser la beauté de celles d’aujourd’hui et de figer tout le glamour désuet d’une époque – les années 1950 – dans l’éternité granuleuse de la photographie colorisée. Alchimiste, l’artiste égyptien s’applique à enluminer, à la main, ses tirages en noir et banc, habillant minutieusement ses portraits de couleurs délavées, comme brûlées par la chaleur des projecteurs ou décantées par l’exposition au soleil. A la manière de ces vieilles cartes postales, trop longtemps exposées à la lumière et la coquetterie de leur époque.
Cette fascination pour les chimères flamboyantes des fifties ne date pas d’hier. Au moment où les fantasmes de son enfance se nourrissent boulimiquement du cinéma de l’âge d’or égyptien, la mère du jeune Cairote lâche une bombe : le petit apprend que les héros qu’il admire et les beautés fatales dont il s’amourache ont, depuis l’après-guerre, soit sombré dans la vieillesse, soit succombé à la faucheuse. C’est le choc. Le déclic que Youssef Nabil aime décrire comme l'incident fondateur de sa carrière de photographe, celui qui fait que, adulte, il s’échine à faire revenir parmi les vivants les vedettes disparues de son enfance. En invoquant, notamment, les étoiles d’aujourd’hui : Catherine Deneuve, Charlotte Rampling, Alicia Keys, Natasha Atlas ou Fanny Ardant ont toutes été « nabilisées » par l’Egyptien, leurs visages de porcelaine enveloppés sous des voiles couleur charbon et transportés vers le passé sur fond bleu ciel. Le fard poudreux d'antan leur confère – de même qu’à Marina Abramovic, Shirin Neshat ou Tracey Emin – une aura atemporelle, quelque chose d’iconique. Sublimées par la palette mielleuse de Nabil, elles se nimbent d’une perfection onirique.
Qu’il saisisse ces stars voluptueuses, des marins yéménites barbus ou se mette lui-même en scène, le dos tourné, à Rio ou à Paris, le jeune Egyptien, où qu’il aille et quoi qu’il fasse, voit le monde en cinémascope. En collant son style démodé sur les réalités d’aujourd’hui, en imprimant ses illusions vieillottes sur les quatre coins du monde, Nabil rend sa nostalgie contagieuse. Le badigeon couleur pastel imprègne tout, domine tout, édulcorant la vie pour mieux questionner, en toile de fond, les archaïsmes des temps présents : l’(in)égalité des sexes, l’homosexualité ou le rapport de l’Orient à l’Occident sont autant de questions que le photographe, plutôt subtil, dissimule sous les djellabas... A la Maison européenne de la photographie, soixante œuvres, toutes plus sucrées les unes que les autres, nous emmènent dans cet ailleurs grisant, suspendu quelque part entre fiction et voyage intérieur. Et même les allergiques au rétro-chic ne sont pas à l’abri d’être envoûtés.
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