Au Café Barbès, on ne s'ennuie jamais. On vogue entre la France et l'Algérie au fil de ce spectacle musical didactique sur l’histoire des immigrés maghrébins en France, et on se laisse porter par la magie sous le grand chapiteau du Cabaret Sauvage.
Lucette, le personnage principal, évoque les temps forts de cette histoire peu racontée à travers le quotidien compliqué des immigrés dans cette France d’après-guerre. Cette « titi parisienne », venue de la campagne pour grossir les rangs des travailleurs pauvres dans les années 1950, finit derrière le comptoir d’un bar à Barbès qu’elle tient avec son homme, Momo, un Algérien débarqué en France comme beaucoup d’ouvriers pour reconstruire le pays. Elle déroule peu à peu le fil conducteur de l’histoire en laissant la parole aux musiciens.
La magie agit sur les spectateurs dès la première chanson, grâce à l’intensité de la musique, la magnifique et intense voix de Samira Brahmia et le jeu de lumières colorées. On se laisse porter par des morceaux populaires algériens, revisités par la troupe du Barbès Café avec des arrangements reggae ou jazz osés mais réussis. Aux instruments traditionnels (mandole, banjo, flute, darbouka) s’ajoutent des instruments contemporains (clavier, batterie, congas cubaines), une vraie surprise pour tous ceux qui connaissent ces classiques. Une danseuse du ventre contemporaine vient ponctuellement illuminer le spectacle de ses contorsions incroyables.
La superposition d'images d’archives de l’INA qui défilent sur des écrans placés en hauteur et de la musique est très réussie, elle donne beaucoup d'émotion au spectacle. Les temps forts de l’histoire des Algériens de France sont abordés à travers quelques phrases de Lucette, la musique et les images, depuis la colonisation jusqu’aux cités HLM des banlieues habitées par les deuxième et troisième générations de familles immigrées, en passant par la guerre d’Algérie, l’immigration massive des hommes, le regroupement familial, la marche des beurs, la lutte contre le racisme, la question de l’intégration... Les explications qui entrecoupent les images sur les écrans éclairent le spectateur sur l’histoire du pays et des musiciens qui se sont illustrés dans les différentes luttes : l’indépendance, la reconnaissance des immigrés, mais aussi le droit des femmes, la liberté en général. Si le spectacle insiste bien sur certains pans de cette histoire honteuse pour les Français, comme la guerre civile ou les ratonades, on s’étonne cependant que la question de la guerre civile en Algérie ne soit pas abordée dans la chronologie de l’histoire. On aimerait savoir comment les familles d’origine algérienne l’ont vécue depuis la France, à travers leur poste de télévision et les coups de fil aux familles restées au bled.
Au fil du spectacle, on retrouve l’ambiance chaleureuse de l'Algérie, grâce à un public en or qui se lève dès les premières notes de chansons populaires pour danser devant la scène. On sent l’investissement personnel des acteurs et musiciens et leur complicité avec l'invité du jour. Car chaque spectacle est unique, grâce à la participation d'un artiste différent chaque soir : Rachid Taha, Djaffar Ait Menguellet, Souad Massi, Mouss & Hakim, Mohamed Lamine, Naima El Djazairia, Cheikha Rabia, HK… tous ont bien voulu se prêter au jeu du spectacle, pour la bonne cause, celle d'une lecture un peu différente de l'histoire des Algériens immigrés en France, touchante et sans concession.