Il y a d’abord ce souffle dans le micro. Cette voix familière capable de nous rappeler en quelques mots les émotions ressenties lors des spectacles précédents (inoubliable ‘Gente di plastica’, bouleversant ‘Urlo’). Et il y a Pippo, metteur en scène de génie et humaniste hors pair, qui travaille le théâtre au corps comme si c'était une question de vie ou de mort. Toujours entouré de sa belle troupe (Bobò, Gianluca Ballarè, Pepe Robledo), l’Italien fabrique des spectacles qui se soustraient aux lois du divertissement pour nous plonger tête baissée dans la réalité parfois funèbre de notre propre monde.
Même si sa mère le supplie depuis toujours de réaliser des spectacles « avec un peu plus d’espoir », ‘Dopo la battaglia’ ressemble davantage à un cri de révolte qu’à un arc-en-ciel.
Dans un décor à l’austérité carcérale, Pippo Delbono convoque ses souvenirs de Pina Bausch, rend hommage à Bobò (rencontré dans un asile et avec qui il voyage depuis vingt ans), souffre de la cruauté de notre époque. Pendant ces deux heures post-apocalyptiques, le spectateur est convié à se promener dans son cœur, à rencontrer sa mère, à danser pendant qu’il en est encore temps… Un voyage du côté de l’intime qui passe tantôt par des espaces gris aspirés par le vide, tantôt par des moments de grande douceur où il est enlacé par des danseuses vêtues de rouge, où il dépose à même le sol un bouquet d’œillets (émouvant hommage au ‘Sacre du printemps’ et aux ‘Œillets’ de Pina Bausch).
Evidemment, certains quitteront leur siège avant la fin, insensibles ou intolérants à l’absurdité et au décousu de son travail. Evidemment, certains lui préfèreront une comédie légère pour se débrancher de la torpeur actuelle. Mais le théâtre de Pippo est bien trop perméable au monde, bien trop viscéral pour ne se limiter qu’à un banal hymne à la joie et à la bonne humeur. « Parfois, je me trouve enfermé dans une cage, asphyxié, d’où il me semble n’y avoir aucune issue », confie-t-il. Assis au fond de notre fauteuil, émus aux larmes à la seule écoute de sa voix, nous en voyons plusieurs pourtant. Et ce sont ses spectacles.